Adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire 

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Par deux ordonnances des 25 mars et 9 avril 2020[1], le Gouvernement a pris plusieurs mesures visant à adapter les règles relatives aux formations de jugement des juridictions de l’ordre administratif, le déroulement des audiences (tenue des audiences, publicité, recours à la visioconférence), les règles relatives aux délais de procédure et de jugement, aux modalités de saisine de la juridiction et l’organisation des échanges devant les juridictions.
L’ordonnance n°2020-305 du 25 mars 2020 comporte deux titres :
  • Le titre I est relatif à l’adaptation des règles d’organisation et de fonctionnement des juridictions administratives ;
  • Le titre II est relatif à l’adaptation des délais de procédure et de jugement.
Certaines dispositions ont été précisées par l’ordonnance n°2020-405 du 9 avril 2020.



  1. Adaptation des règles d’organisation et de fonctionnement

  1. Champ d’application
Les règles dérogatoires fixées par ces ordonnances sont applicables à l’ensemble des juridictions de l’ordre administratif, à compter du 12 mars 2020 et jusqu’à la cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré dans les conditions fixées par la loi l’urgence.

  1. Formation de jugement (article 3)
Le Président de juridiction peut compléter les formations de jugement incomplètes grâce à l’adjonction de magistrats issus d’autres juridictions.

  1.  Elargissement du recours à la possibilité de statuer par voie d’ordonnance dans les conditions de l’article R.222-1 du CJA (article 4)
Cet article ouvre la possibilité aux magistrats ayant le grade de conseiller et une ancienneté minimale de deux ans de statuer par voie d’ordonnance dans les conditions prévues à l’article R.222-1 du CJA.

Ces dispositions permettent de :
1° Donner acte des désistements ;
2° Rejeter les requêtes ne relevant manifestement pas de la compétence de la juridiction administrative ;
3° Constater qu'il n'y a pas lieu de statuer sur une requête ;
4° Rejeter les requêtes manifestement irrecevables (lorsque des conclusions ont été présentées en ce sens devant la juridiction), lorsque la juridiction n'est pas tenue d'inviter leur auteur à les régulariser ou qu'elles n'ont pas été régularisées à l'expiration du délai imparti par une demande en ce sens ;
5° Statuer sur les requêtes qui ne présentent plus à juger de questions autres que la condamnation prévue à l'article L. 761-1 ou la charge des dépens ;
6° Statuer sur les requêtes relevant d'une série (sans instruction et sans avoir invité les parties à présenter des observations), qui, sans appeler de nouvelle appréciation ou qualification de faits, présentent à juger en droit, pour la juridiction saisie, des questions identiques à celles qu'elle a déjà tranchées ensemble par une même décision devenue irrévocable, à celles tranchées ensemble par une même décision du Conseil d'Etat statuant au contentieux ou examinées ensemble par un même avis rendu par le Conseil d'Etat en application de l'article L. 113-1 et, pour le tribunal administratif, à celles tranchées ensemble par un même arrêt devenu irrévocable de la cour administrative d'appel dont il relève ;
7° Rejeter, après l'expiration du délai de recours ou, lorsqu'un mémoire complémentaire a été annoncé, après la production de ce mémoire, les requêtes ne comportant que des moyens de légalité externe manifestement infondés, des moyens irrecevables, des moyens inopérants ou des moyens qui ne sont assortis que de faits manifestement insusceptibles de venir à leur soutien ou ne sont manifestement pas assortis des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.

  1. Communication des pièces (article 5)
La communication aux parties des pièces, actes et avis s’effectue par tout moyen.

  1. Publicité  et tenue des audiences (articles 6 et 7)
L’ordonnance permet de déroger à la publicité des débats en prévoyant la possibilité de tenir des audiences à huit clos ou de tenir une audience en publicité restreinte.
Par ailleurs, elle autorise largement le recours aux moyens de télécommunication pour tenir les audiences.
L’article 7 autorise en effet la tenue des audiences en usant des moyens de communication audiovisuelle ou en cas d’impossibilité technique ou matérielle par tout moyen de communication électronique, y compris téléphonique.
Lorsque le juge use de cette possibilité, la décision n’est pas susceptible de recours.
Lorsqu’une partie est assistée d’un conseil ou d’un interprète, il n’est pas requis que ce dernier soit physiquement présent auprès d’elle.
Enfin, le rôle des audiences peut être publié sur le site internet de la juridiction (article 7 modifié par l’ordonnance n°2020-405).

  1. Dispense de lecture des conclusions du rapporteur public à l’audience (article 8)
Le Président de la formation de jugement peut dispenser le rapporteur public d’exposer à l’audience les conclusions sur sa requête.

  1. Possibilité de statuer sans audience sur les requêtes présentées en référé (article 9)
Cette possibilité existe déjà à l’article L.522-3 du CJA « Lorsque la demande ne présente pas un caractère d'urgence ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée ».

L’ordonnance étend la possibilité pour le juge des référés de statuer sans audience sur les requêtes présentes en référé, par ordonnance motivée.

Le juge des référés doit aviser les parties de l’absence d’audience et de la date à partir de laquelle l’instruction sera clause.

Les décisions prises sans audience sont susceptibles d’appel devant le Conseil d'Etat dans les quinze jours de leur notification sauf lorsqu’elles ont été rendues en application de l’article L.522-3 du CJA.

  1. Possibilité de statuer sans audience sur les demandes de sursis à exécution (article 10)
Le président de la cour ou le président de la chambre peut statuer sans audience publique sur les demandes de sursis à exécution.

  1. Publicité  et signature des décisions (article 12)
La décision peut être rendue publique par mise à disposition au greffe de la juridiction.
En outre, la minute des décisions peut être signée par le seul Président de la formation de jugement.

  1. Notification de la décision (article 13)
Lorsqu’une partie est représentée par avocat, la notification prévue de la décision est valablement accomplie par l’expédition de la décision à son mandataire.
Lorsque la partie n’est pas représentée par avocat, la notification peut être valablement accomplie « par tout moyen de nature à en attester la date de réception ».

  1. Prononcé des jugements relatifs aux mesures d’éloignement (article 14)
Par dérogation, les jugements relatifs aux mesures d’éloignement prises à l’encontre des étrangers placés en centre de rétention ne sont pas prononcés à l’audience.

  1. Adaptation des délais de procédure et de jugement
Il est rappelé que les dispositions de l’article 2 de l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échues pendant la « période juridiquement protégée » et à l’adaptation des procédures sont applicables devant les juridictions de l’ordre administratif.

Ainsi, les délais qui arrivent à échéance entre le 12 mars 2020 et l’expiration du délai d’un mois suivant la fin la période d’urgence sanitaire, fixée dans les conditions de l’article 4 de la loi d’urgence, sont prorogés de plein droit pour la durée légalement impartie.

Concrètement, les délais recommenceront à courir à la fin de cette période.

Pour en savoir plus sur l’instauration de l’état d’urgence sanitaire ainsi que les règles générales, vous pouvez consulter les articles suivants sur le blog du cabinet :
https://www.huet-avocat.fr/publications/etat-durgence-sanitaire-adaptation-des-delais-et-procedures-en-matiere-civile-et-administrative
https://www.huet-avocat.fr/publications/etat-durgence-sanitaire-les-libertes-individuelles-et-publiques-a-lepreuve-du-coronavirusnbsp

L’article 15 de l’ordonnance n°2020-305 du 25 mars 2020 précise le champ d’application du mécanisme de report des délais.

Le mécanisme de report s’applique :
  • aux mesures de clôture d’instruction dont le terme arrive à échéance au cours de la période juridiquement protégée. Elles sont ainsi prorogées de plein droit jusqu’à l’expiration du délai d’un mois suivant la fin de cette période, sauf report décidé par le juge (article 16).
Toutefois, l’ordonnance n°2020-405 du 9 avril 2020 permet, par dérogation à ces dispositions, de fixer une date de clôture d'instruction antérieure à la date résultant dudit report lorsque l’affaire est en état d’être jugée ou que l’urgence le justifie.

Enfin, cette ordonnance prévoit la possibilité de fixer un délai  de prorogation plus bref des mesures d’instruction.
Pour mémoire, l’article 3 de l’ordonnance n°2020-306 prévoit une prorogation de plein droit de l’effet notamment des mesures d’instruction pour une durée de deux mois à compter de la fin de la période  juridiquement protégée[2].
L’ordonnance n°2020-405 du 9 avril 2020 prévoit la possibilité pour le juge administratif de fixer un délai plus bref que celui résulterait de l’application de l’article 3 de l’ordonnance n°2020-306 « lorsque l’affaire est en état d’être jugée ou que l’urgence le justifie ».

  • aux délais impartis au juge pour statuer : Lorsque les délais impartis au juge pour statuer courent ou ont couru en tout ou partie durant la période mentionnée à l'article 2, leur point de départ est reporté au deuxième mois suivant la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire (article 17 modifié par l’ordonnance n°2020-405).

Il est également à noter que les règles d’aménagement des délais de procédure comportent des dérogations en matière :
  • De droit des étrangers
L'ordonnance n°2020-427 du 15 avril 2020 modifie les règles de computation des délais de recours contentieux ouverts contre les décisions en matière d'éloignement et d'asile. 

  • En matière de droit électoral pour les élections municipales du 15 mars 2020 (Article 15 et 17, dernier alinéa).