
COVID-19 et prescription de l’hydroxychloroquine : une liberté de prescription à géométrie variable ! (Partie I)
-L’hydroxychloroquine, est commercialisée par le laboratoire Sanofi, sous le nom de Plaquenil.
Elle est indiquée dans le traitement symptomatique de la polyarthrite rhumatoïde ou d’autres maladies telles que le lupus et en prévention des lucites.
Ce principe actif, sous toutes ses formes, a été classé sur la liste II des substances vénéneuses depuis l’arrêté du 13 janvier 2020.
Plusieurs études réalisées par l’équipe du Professeur Didier Raoult, à l’IHU Méditerranée infection, sur des patients testés positifs au Covid-19 suggèrent que le traitement par l’hydroxychloroquine, associée à l’azithromycine (un antibiotique), a pour effet « une disparition ou une réduction de la charge virale chez les patients du Covid-19 »[1].
Plus récemment, le collectif des médecins laissons les médecins prescrire a rendu public les résultats d’une étude menée sur 88 patients, avec trois approches thérapeutiques différentes, qui tend à confirmer les effets bénéfiques du protocole thérapeutique prôné par le Professeur Raout et milite en faveur d’une liberté de prescription en ville en prévision du déconfinement annoncé le 11 mai prochain[2].
Toutefois, le décret du 25 mars 2020[3] , complété par celui du 26 mars 2020[4], pris en application de « la loi d’urgence pour faire face à l’épidémie du COVID-19 », est venu encadrer strictement la prescription et la délivrance de la spécialité pharmaceutique Plaquenil, en la réservant à un usage hospitalier et en interdisant aux officines de ville de la délivrer en dehors des indications thérapeutiques prévues par son autorisation de mise sur le marché.
Des mesures particulièrement mal perçues par plusieurs médecins libéraux qui dénoncent une atteinte à leur liberté thérapeutique et réclament le droit de prescrire pour traiter les malades atteints du Covid-19 à un stade précoce.
Dans ce contexte, et à l’aune du déconfinement, la possibilité de prescrire l’hydroxychloroquine dans le traitement du Covid-19 hors AMM et en dehors des essais cliniques par les médecins libéraux se pose avec une acuité particulière.
C’est pourquoi, j’ai souhaité me consacrer à une analyse juridique de cette problématique qui fait débat au sein de la communauté scientifique depuis plusieurs semaines.
Je vous propose dans cette première partie d’étudier le cadre juridique posé par les décrets ainsi que les conditions de prescription de l’hydroxychloroquine en dehors de ses indications thérapeutiques.
A quelles conditions les médecins peuvent-il prescrire de l’hydroxychloroquine hors AMM aux patients atteints du COVID-19 ?
Dans une seconde partie, j’aborderai la responsabilité du médecin prescripteur du fait de la prescription d’un médicament en dehors du cadre de son autorisation de mise sur le marché (Confer article Prescription de l’hydroxychloroquine hors AMM et responsabilité du médecin prescripteur).
Quels sont les facteurs de risques d’engagement de la responsabilité du médecin lors de la prescription de médicaments dans des indications hors AMM et en dehors du cadre des essais cliniques ?
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Le décret du 25 mars 2020, complété par celui du 26 mars, crée une autorisation dérogatoire au droit commun de la prescription hors AMM en réservant sa prescription, sa dispensation et son administration dans un cadre hospitalier (1).
Est-ce à dire que les médecins de ville ne peuvent prescrire l’hydroxychloroquine ?
Pas tout à fait. Ils n’interdisent pas formellement aux médecins de ville une telle prescription qui est toujours possible dans les conditions de l’article L. 5121-12-1 du code de la santé publique (3).
En revanche, ces décrets n’autorisent la délivrance de l’hydroxychloroquine par les pharmacies que lorsqu’elle est prescrite dans le cadre de son AMM (2).
- Une autorisation dérogatoire de prescription de l’hydroxychloroquine dans un cadre hospitalier
Le décret du 25 mars 2020, complété par celui du 26 mars, crée une autorisation dérogatoire de prescription de l’hydroxychloroquine pour traiter les patients atteints du Covid-19, en la réservant à un usage hospitalier.
Aux termes de l’article 12-2 du décret du 25 mars, l’hydroxychloroquine est prescrite, dispensée et administrée « sous la responsabilité d’un médecin aux patients atteints du covid-19 dans les établissements de santé qui les prennent en charge ainsi que, pour la poursuite de leur traitement, si leur état le permet et sur autorisation du médecin prescripteur, à domicile ».
Ces prescriptions interviennent, après décision collégiale, dans le respect des recommandations du Haut conseil de la santé publique (HCSP).
Sa délivrance est autorisée de façon exceptionnelle, « pour les patients atteints de pneumonie nécessitant une assistance respiratoire ou d'une défaillance d'organe » et en cas de pneumonie grave (oxygéno-requérante).
Il est donc recommandé de respecter les recommandations du Haut Conseil de la santé publique (HCSP) publiées le 24 mars dernier qui, en l’état des connaissances scientifiques actuelles, préconise de réserver l’utilisation de Plaquenil®, le cas échéant, exclusivement pour les patients pris en charge au sein des établissements de santé pour des formes sévères et sous stricte surveillance médicale[5].
Cette prescription doit être une décision collégiale partagée avec l’ensemble de l’équipe médicale qui suit le patient à l’hôpital et conforme aux recommandations nationales actuelles.
- L’interdiction d’une dispensation par les officines de ville en dehors des indications de l’AMM
Par conséquent, seules les prescriptions initiales émanant des rhumatologues, internistes, dermatologues, néphrologues, neurologues et pédiatres et les renouvellements émanant de tout médecin peuvent donner lieu à une délivrance de ce médicament.
L’article 12-2 du décret du 25 mars 2020 a donc pour effet de limiter l’usage de l’hydroxychloroquine en médecine de ville du fait de cette interdiction.
Nous verrons que les médecins de ville demeurent libres (en théorie) de prescrire l’hydroxychloroquine dans le cadre du traitement du Covid-19 (hors AMM), sous réserve de respecter certaines conditions (3) et modalités (les modalités seront abordées dans le cadre la seconde partie, Confer article Prescription de l’hydroxychloroquine hors AMM et responsabilité du médecin prescripteur).
En revanche, l’interdiction faite aux officines de délivrer cette spécialité en dehors des indications thérapeutiques de son AMM rend quelque peu ineffective pour de ne pas dire illusoire la liberté de prescription des médecins de ville.
Le Conseil d’Etat a validé une telle mesure en l’état des données acquises de la science :
« De telles mesures, entrant dans le champ des dispositions de l’article L. 3131-15 du code de la santé publique et conformes aux préconisations du Haut Conseil de la santé publique, à défaut de « données acquises de la science » à ce jour, sont susceptibles d’évolution dans des délais très rapides, conformément aux déclarations du ministre des solidarités et de la santé, au vu des premiers résultats de l’essai clinique européen. Dans ces conditions, le choix de ces mesures ne peut être regardé, en l’état de l’instruction, comme portant une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie et au droit de recevoir, sous réserve de son consentement libre et éclairé, les traitements et les soins appropriés à son état de santé, tels qu’appréciés par le médecin ».
Il laisse entrevoir toutefois une possible évolution au regard de l’évolution de ces données.
Le débat n'est donc fermé et le Conseil d'Etat pourrait réviser sa position au regard de l'évolution des "données acquises de la science".
- Conditions de prescription de l’hydroxychloroquine hors AMM par les médecins de ville
En l’absence de recommandation temporaire d’utilisation, la prescription d’une spécialité pharmaceutique en dehors de son autorisation de mise sur le marché peut être prescrite sous réserve de respecter les conditions cumulatives suivantes :
- En l’absence d’alternative thérapeutique ;
- Dès lors que le prescripteur juge indispensable, au regard des données acquises de la science, le recours à cette spécialité pour améliorer ou stabiliser l’état du patient[6].
A ce jour, et selon les données publiées par l’ANSM, aucun médicament y compris l’hydroxychloroquine n’a apporté la preuve de son efficacité. C’est pourquoi, des essais cliniques sont en cours en France et à l’échelle internationale pour valider une démarche thérapeutique.
Il n’existe donc aucune alternative médicamenteuse appropriée et éprouvée mais seulement des traitements en cours d’essais.
L’essai européen Discovery, lancé le 22 mars dernier et incluant 3 200 patients, teste l’action potentielle de plusieurs antiviraux dont l’hydroxychloroquine (sans association avec l’azithromycine) sur des patients répartis en plusieurs groupes[7]. Les premiers résultats étaient attendus pour fin avril.
Un nouvel essai clinique, lancé au CHU de Montpellier, Covidoc, a pour objet de tester l'association médicamenteuse sur 150 patients, dans un essai randomisé, chez des patients provenant de différents hôpitaux (Montpellier, Nîmes, Perpignan, Narbonne, Béziers, Sète, Rodez), testés positifs au Covid-19 depuis dix jours, âgés de moins de 75 ans et souffrant d'une forme modérée de l'infection.
Dans le cadre du protocole d’utilisation thérapeutique publiée le 30 mars 2020, l’ANSM souligne que « des données préliminaires suggèrent un effet potentiel de l’hydroxychloroquine sur ce virus sans que cela ne constitue une démonstration de son efficacité ».
Par ailleurs, selon le bilan des effets indésirables des médicaments utilisés dans le traitement du COVID-19 publié par l’ANSM le 10 avril 2020, indique qu’il existe des risques, notamment cardio-vasculaires associés au traitement à l’hydroxychloroquine seule ou en association (notamment avec l'azithromycine) et qu’ils sont potentiellement augmentés chez les malades du COVID-19[8].
C’est pourquoi l’ANSM rappelle que ces médicaments doivent être utilisés uniquement à l’hôpital, sous étroite surveillance médicale dans le cadre fixé par le Haut conseil de la santé publique[9].
Conformément à l’article L. 5124-12-1, les deux premières conditions, à savoir, l’absence de recommandation temporaire d’utilisation et l’absence d’alternative thérapeutique semblent donc réunies.
En revanche, le troisième condition, tenant au caractère indispensable de la prescription au regard des données acquises de la science prête davantage à discussion si l’on prend en considération :
- les effets indésirables graves ainsi que les contre-indications et mises en garde[10]
- les divergences exprimées sur le profil des patients devant bénéficier d’une telle prescription (la prescription à l’hôpital étant réservée aux patients dont les symptômes sont les plus sévères).
- l’absence de résultats éprouvés sur l’efficacité de l’hydroxychloroquine, en l’état des données acquises de la science.
Toutefois, la portée de cette ordonnance est à relativiser dans la mesure où elle ne prend en considération que les résultats de la première étude du Professeur Raoult et les résultats de l’étude chinoise menée du 6 au 25 février 2020.
Or, ces données sont susceptibles d’évoluer au vu de la publication des résultats des différentes études actuellement menées dont les premiers résultats de l’essai clinique européen.
Le débat ne semble donc pas figé.
Il n’en demeure pas moins qu’en l’état du décret publié, et quelles que soient les raisons sanitaires ou économiques qui ont dicté les mesures prises par le Gouvernement, la liberté de prescription de l’hydroxychloroquine des médecins en ville se trouve fortement entravée du fait de l’interdiction faite aux officines d’exécuter les ordonnances prescrites hors AMM, ce d’autant que le Conseil d’Etat a refusé d’enjoindre au gouvernement la production et la constitution de stocks d’hydroxychloroquine (et d’azithromycine) afin de « garantir l’approvisionnement des patients » ayant besoin de cette spécialité dans les indications de l’AMM.
Affaire à suivre…
Dans cette étude non randomisée, 20 patients ont été traités par l’association hydroxychloroquine (400 à 600 mg/j pendant une période pouvant aller jusqu’à dix jours) et azithromycine (500 mg le premier jour et 250 mg les 4 jours suivants), 34 ont été traités par azithromycine seule, et 34 autres par un traitement à visée symptomatique (le plus souvent du paracétamol).