QUELS ENSEIGNEMENTS TIRES DE LA JURISPRUDENCE EN MATIERE DE CONTROLE T2A ?

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Les contrôles d’activité réalisés par les autorités de tutelle dans les établissements de santé font l’objet d’une vigilance accrue. En effet, les modalités et l’organisation de ces contrôles sont de plus en plus contestées par les établissements de santé, aboutissant régulièrement à des recours en justice.

Récemment encore, le rapport d’étape d’Olivier VERAN, médecin hospitalier et député de l’Isère, s’attache à relever les dérives de ce dispositif.

Les médecins cliniciens se font l’écho d’une remise en cause par les médecins contrôleurs de leurs pratiques professionnelles, de la pertinence de la prise en charge en hospitalisation ou alors de la prescription d’une hospitalisation à domicile.

Lors du contrôle, le médecin DIM dispose de peu de temps pour réunir l’ensemble des éléments médicaux alors même que, dans une majorité de dossiers, les enjeux financiers sont particulièrement élevés et portent sur un volume important de séjours.

D’un point de vue procédural, l’étude de la jurisprudence permet de constater que les juges s’avèrent très protecteurs des intérêts de la sécurité sociale.

Tout d’abord, en imposant de saisir la Commission de Recours Amiable (CRA) de chaque caisse primaire alors qu’une caisse référente est chargée de recouvrir le montant d’indu global, pour le compte de chaque caisse et que bien souvent la caisse « pivot » se substitue au fond aux caisses primaires gestionnaires.

S’il s’agit en effet d’un préalable obligatoire, cette phase amiable n’a d’intérêt que si la CRA s’attache à répondre de façon motivée et circonstanciée dans le délai d’un mois.

Très souvent, la CRA ne répond pas dans le délai requis par les textes, sans que le non-respect de ce délai ne soit assorti d’une sanction. Les établissements de santé n’ont donc pas d’autres choix que de contester devant le TASS la notification d’indu et la décision implicite de rejet, née du silence gardé par la CRA.

De même, selon les usages des TASS, l’établissement devra parfois ressaisir le TASS sur la décision expresse de rejet en sollicitant la jonction des deux procédures alors que la simple transmission de la décision de rejet devrait suffire à lier le juge.

Bref, les établissements de santé ressentent véritablement un sentiment d’incompréhension et d’injustice.

L’un des nombreux points de divergence porte sur l’obligation de motivation de la notification d’indu et le non-respect de la procédure contradictoire.

La Cour de cassation estime que la motivation de la notification d’indu est satisfaite par la transmission d’un tableau récapitulatif d’indu[i].

Cette position est très discutable du point de vue du respect des droits de la défense dans la mesure où les informations contenues sont très générales et ne permettent pas à l’établissement de santé de connaître avec précision les raisons médicales des refus de facturation opposés par les médecins contrôleurs.

Cela étant, il est de jurisprudence constante que la période de concertation entre les médecins contrôleurs, le médecin DIM et le directeur, de même que les éléments portés à la connaissance de l’établissement de santé au cours de celle-ci (fiches de concertation, rapport de contrôle), sont de nature à pallier une insuffisance de motivation[ii].

Les juges admettent la motivation « standardisée » empruntée par les caisses primaires, dans le cadre de la procédure de recouvrement d’indu ou par le Directeur Général de l’ARS, dans le cadre de la procédure de sanction financière.

Ici encore, leur position ne saurait convaincre, ce d’autant que les juges s’avèrent particulièrement exigeants sur les justifications apportées par l’établissement.

Les avocats sont, depuis l’instauration de la tarification à l’activité, les témoins privilégiés des difficultés rencontrées par les établissements de santé dans le cadre des contrôles d’activité et des contentieux liés.

Beaucoup d’établissements espèrent obtenir l’annulation d’une notification d’indu et des actes subséquents en invoquant uniquement des moyens de forme et de procédure (insuffisance de motivation, incompétence du signataire, non-respect de la procédure contradictoire).

Or, il convient de garder à l’esprit que les moyens de forme et de procédure sont admis de manière très restrictive[iii]. C’est pourquoi, cette stratégie de défense n’est à mon sens pas la plus opportune et judicieuse.

Les chances de succès d’un établissement de santé sont avant tout  conditionnées par les justifications qu’il sera en mesure d’apporter pour établir le respect des règles de facturation et de codage, et partant, le bien fondé des facturations contestées par les médecins contrôleurs.

Les établissements ne peuvent donc faire l’économie d’une argumentation au fond lorsqu’ils entendent solliciter l’annulation de la notification d’indu.

Dans un contexte économique, juridique et judiciaire défavorable aux établissements de santé, il importe donc de sensibiliser l’ensemble des acteurs concernés sur la charge de la preuve dans les contentieux liés à la tarification (1) et la préparation de l’argumentaire de l’établissement (2).

Voici quelques conseils pratiques afin d'optimiser vos chances de succès et prévenir les risques juridiques et financiers en matière de contrôle d'activité.

  1. LA CHARGE DE LA PREUVE DU RESPECT DES REGLES DE FACTURATION

Lors du contrôle sur site, les médecins contrôleurs vont s’assurer que les informations portées dans les résumés (RUM, RSS, RPSS) transmis par l’établissement sont conformes aux éléments tracés dans le dossier du patient.

Dans chaque dossier, l’équipe de contrôle va vérifier la concordance entre les informations portées sur ces résumés et les éléments relatifs au séjour contenus dans le dossier médical (observations médicales, compte-rendu d’hospitalisation et opératoire, fiche anesthésique, projet thérapeutique, feuilles de soins etc.).

A défaut de pouvoir effectuer cette vérification, les médecins contrôleurs sont amenés à considérer que la facturation n’est pas conforme ou injustifiée (en l’absence totale d’éléments).

Par conséquent, il revient à l’établissement de démontrer que les conditions de facturation sont réunies sur la base des éléments du dossier patient. 

Ce constat appelle plusieurs précisions :

D’une part, le contenu du dossier médical doit être conforme à l’article R1112-2 du code de santé publique[iv].

D’autre part, cette justification doit s’effectuer pour chacun des dossiers contrôlés.

Fréquemment, les médecins contrôleurs opposent des refus de facturation en raison de l’insuffisance des éléments tracés dans le dossier patient.

Or, la jurisprudence constante de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation rappelle que le dossier patient constitue l’élément de preuve indispensable pour établir le respect des règles de facturation. Témoin de la prise en charge du patient, des choix thérapeutiques, des soins prodigués, de l’évolution de son état de santé, des réajustements effectués par l’équipe médico-soignante, il doit assurer la traçabilité de tous les actes effectués au bénéfice du patient durant son séjour.
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Il est à noter qu'un arrêt isolé de la seconde chambre civile tend à admettre, lorsque les éléments du dossier patient sont insuffisants, que la preuve puisse s’effectuer par tous moyens (recommandations HAS ou de sociétés savantes, avis ATIH).

2.  COMMENT BIEN PREPARER L’ARGUMENTAIRE DE L’ETABLISSEMENT

Le contrôle sur site est précédé d’une phase préparatoire.

Cette étape préparatoire doit avoir pour objectif de circonscrire le périmètre des dossiers en désaccord puisque les chances de succès de l’établissement sont évidemment conditionnées par la capacité de l’établissement à justifier du respect des règles de facturation et du bien-fondé des cotations sur la base du dossier patient.

L’établissement doit s’attacher à vérifier le contenu des dossiers médicaux pour chaque cotation. Au besoin, il est possible de consulter les praticiens responsables du patient ainsi que les infirmiers afin d’apporter toute précision utile sur sa situation clinique.

Il faut garder à l’esprit que la preuve du respect des règles de facturation s’avère bien plus efficace au stade de la concertation. En pratique, c’est lors de la phase contradictoire que l’établissement a le plus de chance de voir sa position prospérée et acceptée par les médecins contrôleurs.

Par conséquent, le médecin DIM doit apporter un soin tout  particulier à la contradiction qu’il entend apporter aux médecins contrôleurs :

  • Lors de la concertation : les fiches de concertation signées par le médecin DIM doivent détailler les motifs de contestation de l’établissement et joindre les éléments médicaux pertinents justifiant la facturation/le codage ;
  • Lors de la réception du rapport de contrôle : l’établissement dispose d’un délai de trente jours pour présenter ses observations. Il ne faut pas hésiter à présenter un véritable « contre rapport ».

La contestation doit être circonstanciée et faire ressortir l’ensemble des éléments suivants :

  • Description des conditions de contrôle
  • Indication des séjours sur lesquels il persiste un désaccord de l’établissement
  • Exposé de la situation clinique du patient à l’admission et au cours de son hospitalisation
  • Rappel du motif de désaccord
  • Fondements légaux, réglementaires, avis ATIH/HAS susceptibles de fonder la position de l’établissement
  • Eléments médicaux de nature à justifier la facturation et la cotation retenue par l’établissement

Ne pas expliciter de manière précise et motivée les motifs de contestation de l’établissement revient à le priver d’une chance de contestation ultérieure. De même, l’absence de contestation pendant le contrôle vaut acquiescement du médecin DIM.

La rigueur de l’établissement lors de la phase préparatoire et de concertation conditionne bien évidemment les chances de succès d’une contestation ultérieure devant la CRA ou le TASS.

Dans la perspective d’un recours contentieux, elle permettra d’optimiser l’intervention de l’avocat et de faciliter le travail de compréhension du juge.

 

EN CONCLUSION,

Bien que le contrôle T2A constitue un contrôle de nature administrative, la bonne tenue du dossier médical ainsi que la préparation du contrôle sur site permettent d’optimiser les chances de succès d'une contestation de l'établissement dès le stade de la concertation.

La gestion des risques juridiques et financiers dans le cadre des contrôles d’activité est étroitement liée à la qualité du dossier patient.

Trop souvent, les juges reprochent aux établissements de santé l’insuffisance voire l’absence de traçabilité de la prise en charge du patient dans le dossier patient. Or, le doute ne profitera jamais à l’établissement.

C’est pourquoi, il est important d’insister sur le fait que la gestion des risques juridiques et financiers en établissements de santé repose également entre les mains des professionnels de santé qui doivent intégrer ces exigences, liées à la tenue du dossier patient, dans leurs pratiques professionnelles.

D’une manière plus générale, l’analyse des dossiers contentieux met en évidence l’importance des facteurs organisationnels dans la démarche de gestion des risques.

Pour mieux gérer ce risque juridico-financier, la structure doit s’attacher à développer une réelle "culture partagée" de la bonne tenue du dossier médical, afin de permettre aux acteurs concernés (médecins, infirmiers, soignants, intervenants sociaux, kinésithérapeutes, intervenants libéraux…), l’intégration des enjeux de la tenue du dossier médical dans leurs pratiques professionnelles.

Ces réflexions devront intégrer plus largement les exigences d’une organisation territoriale des soins et les nouvelles règles de suivi de la chaîne de facturation dans le cadre des GHT. Il est fort probable que de nouveaux contentieux apparaissent dans les années à venir avec la mise en place du DIM de territoire.

N'hésitez pas à me contacter si vous souhaitez bénéficier d'un accompagnement juridique dans le cadre d'un contrôle d'activité, d'une procédure de recouvrement d'indu ou de sanction financière.


NOTES

[i] En ce sens, Civ. 2ème, 20 janvier 2012, Clinique des Chandiots, n°11-10.498 ; Civ. 2ème 13 octobre 2011 n°10-24.1118 Inédit


[ii] Civ. 2ème 7 juillet 2011 n°10-21.615 Inédit


[iii] Civ. 2ème 3 mars 2011 n°10-30.652 publié au bulletin ; Pour une récente illustration, voir Civ. 2ème, 30 mars 2017, n°16-13391 non publié au bulletin


[iv] Article R1112-2 CSP : Un dossier médical est constitué pour chaque patient hospitalisé dans un établissement de santé public ou privé. Ce dossier contient au moins les éléments suivants, ainsi classés :

1° Les informations formalisées recueillies lors des consultations externes dispensées dans l'établissement, lors de l'accueil au service des urgences ou au moment de l'admission et au cours du séjour hospitalier, et notamment :

a) La lettre du médecin qui est à l'origine de la consultation ou, en cas d'admission, la lettre de liaison prévue à l'article R. 1112-1-1 ;

b) Les motifs d'hospitalisation ;

c) La recherche d'antécédents et de facteurs de risques ;

d) Les conclusions de l'évaluation clinique initiale ;

e) Le type de prise en charge prévu et les prescriptions effectuées à l'entrée ;

f) La nature des soins dispensés et les prescriptions établies lors de la consultation externe ou du passage aux urgences ;

g) Les informations relatives à la prise en charge en cours d'hospitalisation : état clinique, soins reçus, examens para-cliniques, notamment d'imagerie ;

h) Les informations sur la démarche médicale, adoptée dans les conditions prévues à l'article L. 1111-4 ;

i) Le dossier d'anesthésie ;

j) Le compte rendu opératoire ou d'accouchement ;

k) Le consentement écrit du patient pour les situations où ce consentement est requis sous cette forme par voie légale ou réglementaire ;

l) La mention des actes transfusionnels pratiqués sur le patient et, le cas échéant, copie de la fiche d'incident transfusionnel mentionnée au deuxième alinéa de l'article R. 1221-40 ;

m) Les éléments relatifs à la prescription médicale, à son exécution et aux examens complémentaires ;

n) Le dossier de soins infirmiers ou, à défaut, les informations relatives aux soins infirmiers ;

o) Les informations relatives aux soins dispensés par les autres professionnels de santé ;

p) Les correspondances échangées entre professionnels de santé ;

q) Les directives anticipées mentionnées à l'article L. 1111-11 ou, le cas échéant, la mention de leur existence ainsi que les coordonnées de la personne qui en est détentrice.

2° Les informations formalisées établies à la fin du séjour. Elles comportent notamment :

a) La lettre de liaison remise à la sortie prévue par l'article R. 1112-1-2 ;

b) La prescription de sortie et les doubles d'ordonnance de sortie ;

c) Les modalités de sortie (domicile, autres structures) ;

d) La fiche de liaison infirmière ;

3° Les informations mentionnant qu'elles ont été recueillies auprès de tiers n'intervenant pas dans la prise en charge thérapeutique ou concernant de tels tiers.

Sont seules communicables les informations énumérées aux 1° et 2°.