REFUS DE PRESCRIPTION D’UN TRAITEMENT MEDICAL DIFFERENT : UNE LIBERTE THERAPEUTIQUE SURVEILLEE

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Voici une décision qui ne manquera pas de retenir l’attention des établissements de santé et des équipes médicales.

Les juges sont régulièrement saisis de litiges relatifs à l’interruption d’un traitement ou au refus d’entreprendre un traitement au motif que ce dernier traduirait une obstination déraisonnable. Nous nous souvenons tous de l’affaire LAMBERT, un ancien infirmier victime d’un accident de la route, dans un état végétatif et hospitalisé au CHU de Reims depuis 2008. Depuis cette date, la question de l’arrêt des traitements divise la famille.

Ils sont plus rarement saisis d’une demande tendant à ce que soit ordonné à un hôpital de pratiquer un traitement différent de celui qu’il a choisi d’administrer au patient. 

Par une ordonnance du 26 juillet 2017, le juge des référés du Conseil d’Etat confirme le refus d’enjoindre à un hôpital que soit administré un autre traitement que celui qu’il a choisi, de manière concertée, d’administrer à un patient.

En l’espèce, un patient atteint d’une leucémie aigüe a été pris en charge au sein de l’hôpital pédiatrique de la Timone. Son état de santé s’est dégradé et après avoir été dans le coma, il présente de lourdes séquelles neurologiques. Une récidive de sa leucémie a conduit à son admission au sein du CHU de Montpellier.

Compte-tenu de l’état de santé du patient, l’équipe médicale a décidé d’assurer une prise en charge palliative et de ne pas réaliser une chimiothérapie à visée curative. Ce choix a été confirmé par le service d’hématologie pédiatrique de l’APHM puis validé lors d’une réunion de concertation pluridisciplinaire interrégionale à laquelle ont participé les équipes du CHU de Nice, de l’APHM et du CHU de Montpellier.

Le 6 juillet 2017, le CHU de Montpellier à refuser d’accéder à la demande du père tendant à ce que soit mis en place une chimiothérapie à visée curative.

Les parents ont donc saisi le juge des référés du TA de Montpellier sur le fondement de l’article L521-2 du CJA (référé-liberté) à l’effet d’enjoindre au CHU de Montpellier de mettre en place une chimiothérapie à visée curative au profit de leur fils.  Ils sollicitent en outre une expertise médicale afin de déterminer le traitement le plus approprié à l’état de santé du patient.

Le juge des référés du TA de Montpellier a rejeté leurs demandes (ordonnance du juge des référés du TA de Montpellier du 12 juillet 2017).

Cette ordonnance est confirmée par le juge des référés du Conseil d’Etat au terme de l’ordonnance du 26 juillet 2017.

Après un rappel du cadre juridique, le juge des référés relève en premier lieu que si, au regard des dispositions du Code de la santé publique, toute personne a le droit de recevoir les traitements et les soins les plus appropriés à son état de santé, sous réserve de son consentement libre et éclairé, elles ne confèrent pas au patient le droit de choisir son traitement (2).

Il rappelle également qu’il appartient aux médecins d’effectuer un bilan, en tenant compte des risques encourus et des bénéfices escomptés afin de déterminer le traitement le plus approprié à l’état de santé du patient (3 et 4).

En l’espèce, il déduit de plusieurs éléments qu’une chimiothérapie curative n’était pas le traitement le plus approprié (5) :

  • Les diligences entreprises par l’équipe médicale et en particulier la réunion de concertation pluridisciplinaire interrégionale ;
  • L’examen de la situation clinique du patient (séquelles neurologiques, effets délétères des produits qui devraient lui être injectés dans le cadre de la chimiothérapie, l’état d’agitation du patient) ;
  • L’appréciation comparée des bénéfices escomptés des deux stratégies thérapeutiques  ainsi que des risques vitaux qui y sont attachés.

Il en conclut que « dans ces conditions, et dès lors qu’une prise en charge thérapeutique est assurée par l’hôpital, il n’appartient pas au juge des référés […] de prescrire à l’équipe médicale que soit administré un autre traitement que celui qu’elle a choisi de pratiquer à l’issu du bilan qu’il lui appartient d’effectuer ».

Cette décision rappelle que le médecin dispose d’une liberté thérapeutique. Il a le choix du traitement qu’il estime le plus approprié à l’état de santé du patient. Il appartient au juge de connaître les préjudices résultant d’une prescription mais il ne lui appartient pas de prendre parti pour telle ou telle prescription. Cette décision est éminemment médicale.

Cette liberté du médecin est tout de même « affectée », et à tout le moins conditionnée, dans la mesure où le juge contrôle que le choix du traitement administré au jeune patient résulte bien d’une appréciation comparée des bénéfices escomptés et des risques encourus.

Cette décision souligne également l’intérêt des réunions de concertation pluridisciplinaire (RCP) pour discuter de manière collégiale du dossier du patient et décider collectivement de la prise en charge la plus appropriée au regard de son état de santé.

Les RCP constituent un espace d'échanges sur les stratégies diagnostiques et thérapeutiques entre spécialistes de plusieurs disciplines.

En oncologie, le dossier de tout patient atteint de cancer doit bénéficier d'une présentation en RCP à l’initiation ou à la modification de son traitement. La RCP constitue une des conditions transversales de qualité du dispositif des autorisations des établissements à la pratique de la cancérologie.

 Cependant, la Haute Autorité de Santé insiste sur le fait que les RCP ne sont pas limitées à l’oncologie et peuvent être utilisées dans d’autres spécialités, notamment pour des prises en charge complexes. Dans ce cas, il est nécessaire que soient représentées toutes les disciplines indispen­sables pour le diagnostic et pour le traitement.

Il est également important de tracer la décision ainsi que les éléments de concertation et de les intégrer au dossier médical du patient.


Référence :

Conseil d'Etat, ordonnance du 26 juillet 2017, n°412618, publié au recueil Lebon

Communiqué du Conseil d'Etat consultable sur le site