Garantie de financement des établissements de santé : conditions d'extension de son périmètre 

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Dans le cadre de la crise sanitaire, les établissements de santé bénéficient d’une garantie de financement devant garantir à chaque établissement de santé un niveau de recettes minimal et équivalent à 2019, couvrant la période initiale de mars à décembre 2020.
Ce dispositif, institué par l’ordonnance n°2020-309 du 25 mars 2020[i], fait partie des mesures d’accompagnement[ii] visant à compenser la baisse d’activité programmée et la diminution des recettes des établissements concernés par rapport à l’activité 2019.

L’objectif affiché était de « sécuriser leurs recettes pendant toute la période pendant laquelle ils peuvent faire face à une baisse de l’activité programmée, notamment compte-tenu de la mise en œuvre de la déprogrammation de certaines activités demandées par la puissance publique, au moment où leurs charges sont accrues du fait de leur participation à la lutte contre l’épidémie » mais aussi « de sécuriser le financement des établissements en premier ligne de l’épidémie qui compte-tenu de cette implication, ne seraient pas en mesure de remonter en temps réel les informations nécessaires à la valorisation de leur activité »[iii].
Un arrêté du 6 mai 2020[iv], pris pour l’application de l’ordonnance susvisée, est venue fixer de manière assez détaillée les modalités de mise en œuvre de cette garantie.

Ce dispositif s’adresse à tous établissements de santé, quel que soit leur statut et dont les ressources dépendent de la tarification à l’activité[v].

Le montant de cette garantie est établi sur la base de toutes les recettes de l’année 2019 y compris les factures émises en 2020, se rapportant à des prestations effectuées en 2019, ou l’activité transmise en 2020 via le dispositif LAMDA.

Le montant théorique versé doit faire l’objet d’une actualisation afin de tenir compte de toutes les données d’activité 2019 remontées au cours de l’année 2020 mais aussi des paramètres de financement résultant de la campagne tarifaire et budgétaire 2020[vi].

Une dernière régularisation doit intervenir au plus tard le 5 mars 2022 au titre des données d’activité 2020.

A l’heure où les Agences Régionales de Santé sont censées avoir arrêté les montants définitifs de la garantie de financement accordée aux établissements de santés concernés dans le cadre de la régularisation à M12, des incertitudes relatives à son périmètre de financement persistent.

Au-delà des possibles impacts négatifs de cette garantie versée mensuellement et décriés par certains établissements de santé, deux problématiques semblent cristalliser le dialogue de gestion avec les ARS à savoir d’une part, les modalités d’extension du périmètre de la garantie de financement ainsi que la valorisation des données remontées par le dispositif LAMDA.

Seules les modalités d’extension du périmètre seront envisagées dans le cadre de cet article.

L’article 8 de l’arrêté du 6 mai 2020 dispose « Le directeur général de l'agence régionale de santé prend en compte dans les notifications mentionnées aux articles précédents les impacts sur le calcul des évolutions intervenues au cours des années 2019 et 2020 relatives aux activités de soins autorisées au sens de l'article L. 6122-1 du code de la santé publique et aux activités de soins identifiées dans le contrat mentionné à l'article L. 6114-1 du même code, notamment dans le cadre d'un regroupement mentionné à l'article L. 6122-6 du même code, d'une fusion entre plusieurs établissements, de la création d'un établissement ou d'une activité de soins ».

Cet article permet d’étendre le périmètre de la garantie de financement en fonction des variations d’activités intervenues au cours des années 2019 et 2020 et dans la mesure où l’établissement a engagé des charges qu’il doit assurer.

La formulation de ces dispositions laisse entrevoir un champ d’application restreint du périmètre d’extension de la garantie de financement :


  • Ces dispositions visent d’une part, les activités de soins autorisées au sens de l’article L.6122-1[vii] du code de la santé publique. Une interprétation littérale de ces dispositions tend à exclure la prise en considération des activités ayant fait l’objet d’autorisations dérogatoires et qui ne sont pas comptabilisées dans les objectifs quantifiés de l’offre de soins.
Une ARS a confirmé récemment l’exclusion du périmètre de l’article 8 des autorisations dérogatoires accordées en matière de soins critiques, faisant alors application du mécanisme des surcoûts[viii].

  • Cet article vise d’autre part, les activités de soins identifiées dans le CPOM notamment dans le cadre d’un regroupement d’activités visé à l’article L.6122-6 du même code[ix] sur un même site d’implantation (Les dispositions du présent article ne sont pas applicables à un regroupement d’établissements) ; d’une fusion entre plusieurs établissements ; de la création d’établissement ou d’activité de soins.
Si l’adverbe « notamment » suggère une liste non limitative, la formulation laisse supposer la prise en considération des changements substantiels intervenus et prévus dans le CPOM. En conséquence, les établissements de santé s’exposent au rejet de la demande de révision du périmètre de la garantie de financement pour les variations d’activités n’ayant pas encore été contractualisées dans le CPOM.

De même, l’imprécision du texte laisse toute entière la question de savoir si sont prises en considération les extensions capacitaires et d’une manière générale, toute modification substantielle des autorisations initialement accordées (capacité, nature de l’activité, changement d’implantation) qui ne s’analysent pas stricto sensu comme une création d’activité[x].


  • Ces dispositions supposent que les autorisations aient été effectivement mises en œuvre, cette mise en œuvre devant être corroborée par des données d’activités.
Selon une ARS, cette mise en œuvre doit être effective avant le 1er mars 2020. En d’autres termes, la simple délivrance d’une autorisation d’activité antérieurement au premier confinement ne constitue pas en soi une variation d’activité incluse dans le périmètre de financement de la garantie de financement.

  • Enfin, l’arrêté du 6 mai 2020 prévoit une régularisation du montant versé à l’établissement au plus tard le 5 mars 2022 afin de tenir compte des éventuelles modifications des données d’activité remontées au titre de l’année 2020, notamment celles mentionnées à l’article 8 susvisé.
Dans ce cadre, il est précisé que cette régularisation est réalisée sur la base d’une comparaison entre le montant définitif de la garantie de financement perçue ainsi que les montants complémentaires versés à l’issue de précédentes régularisations et des données d’activités.

L’établissement doit donc pouvoir fonder sa demande de révision sur une analyse objective des données d’activité (et pas uniquement des données prévisionnelles).

En conclusion,

Ces dispositions augurent sans doute une appréciation discrétionnaire et casuelle des ARS à défaut de précisions réglementaires et en l’absence de « doctrine officielle » des ARS et des pouvoirs publics.


S’il apparait légitime d’intégrer les impacts financiers liés aux activités autorisées et nouvellement autorisées, la demande des établissements de santé de révision du périmètre de financement de la garantie, au visa de l’article 8, doit être effectuée à bon escient.

La prise en considération des variations d’activités a pour effet de couvrir des dépenses engagées pour des activités n’ayant pas généré de recettes du fait de la crise sanitaire et de la baisse imposée de l’activité programmée.

Mais elle ne doit pas avoir à mon sens pour finalité de compenser les impacts financiers de projets déficitaires indépendamment des mesures liées à la gestion de la crise sanitaire ou lorsque l’absence d’activité n’est pas liée à la déprogrammation imposée par les pouvoirs publics.


Un positionnement clair et uniforme serait souhaitable afin de garantir une mise en œuvre égalitaire et uniforme de ce dispositif sur l’ensemble du territoire national et prévenir des écarts négatifs de valorisation.

Rappelons enfin que les établissements de santé peuvent contester le montant définitif alloué dans le cadre de la garantie de financement.

Il dispose dans un premier temps d’un délai de 8 jours pour présenter des observations sur le montant définitif envisagé par l’ARS et qui devait être indiqué au plus tard le 5 mars 2021.

L’arrêté tarifaire fixant le montant définitif de la garantie peut faire l’objet d’une contestation devant le TITSS dans un délai d’un mois suivant la notification (il s’agit d’une compétence d’attribution).

Un recours gracieux est également parfaitement possible dans le délai de recours contentieux.

Une question, un besoin d'un accompagnement juridique, vous vous interrogez sur l'opportunité d'une contestation, contactez-nous. 


Notes et références : 
[i] Ordonnance n°2020-309 du 25 mars 2020 relative à la garantie de financement des établissements de santé
[ii] En complément de ce dispositif de garantie de financement, d’autres aides visent à compenser les surcoûts et pertes liées à la crise sanitaire (en matière notamment d’investissement, de dépenses de personnel complémentaires, des postes d’achats impactés par la crise sanitaire) mais aussi la perte de recettes liées aux tickets modérateurs et du forfait journalier
[iii] Rapport du Président de la République relatif à l’ordonnance n°2020-309 du 25 mars 2020 relative à la garantie de financement des établissements de santé
[iv] Arrêté du 6 mai 2020 relatif à la garantie de financement des établissements de santé pour faire face à l’épidémie du covid-19, JORF n°01112 du 7 mai 2020
[v] Elle concerne donc l’ensemble des activités réalisées par les établissements de santé publics et privées, financées par la tarification à l’activité (MCO, dotation modulée à l’activité pour le SSR, HAD, activité de psychiatrie facturée directement à l’assurance maladie par les établissements de santé privés)
[vi] L’arrêté prévoit une première régularisation devant intervenir au plus tard le 5 décembre 2020 et une seconde régularisation (à M12) devant intervenir au plus tard le 5 mars 2021.
[vii]  Article L6122-1 du code de santé publique « Sont soumis à l'autorisation de l’agence régionale de santé les projets relatifs à la création de tout établissement de santé, la création, la conversion et le regroupement des activités de soins, y compris sous la forme d'alternatives à l'hospitalisation ou d'hospitalisation à domicile, et l'installation des équipements matériels lourds.
La liste des activités de soins et des équipements matériels lourds soumis à autorisation est fixé par décret en Conseil d'Etat ».
[viii] Parallèlement au mécanisme de l’article 8, la prise en compte des impacts des évolutions intervenues pour les activités exclues du champ d’application de l’article 8 s’effectue dans le cadre de l’analyse des surcoûts supportés par l’établissement. Dans cette hypothèse, il est tenu compte de l’activité et des charges engagées pour développer et mettre en œuvre les nouvelles activités. Ce mécanisme devrait donc permettre une compensation des surcoûts liés à la mise en œuvre d’autorisation dérogatoires accordées dans le cadre de la gestion épidémique. Mais il apparaît toutefois moins avantageux car la détermination des surcoûts est étroitement liée aux investissements liés à la gestion de la crise sanitaire.
[ix] Le regroupement mentionné à l'article L. 6122-1 consiste à réunir en un même lieu tout ou partie des activités de soins précédemment autorisées sur des sites distincts à l'intérieur de la même région ou réparties entre plusieurs régions.
Par dérogation au 2° de l'article L. 1434-3, l'autorisation de regroupement […] peut être accordée à des titulaires d'autorisation situés dans une zone définie au a du 2° de l'article L. 1434-9 dont les moyens excèdent ceux qui sont prévus par le schéma régional ou interrégional de santé.
Dans ce cas, cette autorisation, outre les autres conditions prévues à l'article L. 6122-2, est subordonnée à une adaptation de l'activité négociée dans le cadre d'un avenant au contrat d'objectifs et de moyens conclu avec le directeur général de l'agence régionale de santé
[x] Même si une modification dite « substantielle » donne lieu au dépôt d’une nouvelle demande.