
Prescription de l'hydroxychloroquine et responsabilité du médecin prescripteur (PARTIE II)
-Or, cette affaire a justement conduit le législateur à encadrer les prescriptions hors AMM en 2011[2].
C’est pourquoi, l’article L. 5121-12-1 du code de la santé publique encadre strictement les conditions et modalités de prescription.
Dans un précédent article, j’évoquais le cadre juridique de la prescription de l’hydroxychloroquine dans le cadre de la lutte contre l’épidémie du Covid-19 (COVID-19 et Prescription de l’hydroxychloroquine : une liberté de prescription à géométrie variable ! Partie I) https://www.huet-avocat.fr/publications/nbspprescription-de-lhydroxychloroquine-et-responsabilite-du-medecin-prescripteur-partie-ii
Pour mémoire, les décrets des 25 et 26 mars 2020 sont venus encadrer strictement la prescription de la spécialité Plaquenil dans le cadre du traitement des patients atteints du covid-19, en la réservant à un usage hospitalier (ces dispositions ont depuis été abrogées par le décret du 26 mai 2020).
Dans le prolongement de cet article, il s’agit d’aborder la responsabilité du médecin prescripteur du fait de la prescription d’un médicament en dehors du cadre de son autorisation de mise sur le marché et des essais cliniques en cours.
Quels sont les facteurs de risques d’engagement de la responsabilité du médecin lors de la prescription de médicaments dans des indications hors AMM et en dehors du cadre des essais cliniques ?
Comment sécuriser une prescription hors AMM ? quelles sont les obligations à respecter pour sécuriser sa prescription et limiter les facteurs de risques dans le cadre d’une éventuelle action en responsabilité ?
- Une liberté thérapeutique encadrée
La prescription hors AMM, pratique courante dans certaines spécialités (pédiatrie, oncologie, psychiatrie), se fonde sur le principe déontologique fondamental de la liberté de prescription reconnue aux médecins.
Ainsi, « le médecin est libre de ses prescriptions qui seront celles qu'il estime les plus appropriées en la circonstance ».
Sa prescription doit cependant être fondée sur les « données acquises de la science »[3].
Il doit en outre limiter ces prescriptions à ce qui est nécessaire à la qualité, l’efficacité et la sécurité des soins, en tenant compte des avantages, inconvénients des conséquences thérapeutiques possibles[4].
Le médecin doit alors s’interdire de faire courir au patient un risque injustifié et ne saurait proposer un procédé illusoire ou insuffisamment éprouvé[5].
En dehors de ces hypothèses traditionnelles limitant la liberté de prescription du médecin, le médecin est autorisé à certaines conditions à prescrire un médicament en dehors du cadre de son autorisation de mise sur le marché.
D’aucuns diront que la prescription de l’hydroxychloroquine dans le cadre du traitement des patients atteints du Covid-19 constitue une prescription hors AMM, c’est-à-dire en dehors des indications thérapeutiques prévues par son autorisation de mise sur le marché.
Dès lors, se pose nécessairement la question de ses effets et de sa dangerosité.
C’est pourquoi, en dehors de l’autorisation dérogatoire accordée par le décret du 25 mars 2020, complété par celui du 26 mars, et en l’absence de recommandation temporaire d’utilisation, elle ne peut être prescrite que sous réserve de respecter les conditions cumulatives suivantes :
- En l’absence d’alternative thérapeutique ;
- Dès lors que le prescripteur juge indispensable, au regard des données acquises de la science, le recours à cette spécialité pour améliorer ou stabiliser l’état du patient[6] https://www.huet-avocat.fr/publications/nbspprescription-de-lhydroxychloroquine-et-responsabilite-du-medecin-prescripteur-partie-ii
- La prescription hors AMM n’est pas en soi illégale et ne saurait constituer à elle seule une faute
En effet, il a été jugé que la prescription hors AMM ne saurait caractériser à elle-seule une faute disciplinaire. Par conséquent, il appartient à la juridiction ordinale de préciser en quoi la thérapeutique employée fait effectivement courir un risque injustifié au patient[7].
De même, la faute civile du praticien ne saurait se déduire de la seule absence d’AMM et des effets indésirables du médicament[8].
La prescription d’un médicament hors AMM n’échappe pas aux règles classiques de la responsabilité médicale pour faute, qui suppose de démontrer l’existence d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité.
Au regard de l’analyse de la jurisprudence, qui au demeurant ne fait pas l’objet d’un contentieux particulièrement abondant, la responsabilité du praticien prescrivant hors AMM est susceptible d’être recherchée principalement dans deux hypothèses :
- Première hypothèse, lorsque le médecin a manqué à son obligation d’information du patient
Cette obligation d’information se trouve renforcée dans le cadre d’une prescription hors AMM[9].
Ainsi, le prescripteur doit informer son patient :
- Du caractère non conforme aux indications de l’autorisation de mise sur le marché ;
- Des risques encourus, des contraintes et bénéfices susceptibles d’être apportés par le médicament ;
- Des modalités de prise en charge par l’assurance maladie de la spécialité dans l’indication ou les conditions d’utilisation considérée. En l’occurrence, le prescripteur doit informer que la prescription de l’hydroxychloroquine en dehors d’une AMM et en l’absence d’une recommandation temporaire d’utilisation n’est pas prise en charge par l’assurance maladie[10]
La haute juridiction estime de manière constante que le défaut d’information cause nécessairement un préjudice au patient et qu’il s’agit d’un préjudice autonome justifiant à lui seul une réparation[11].
Par conséquent, la seule atteinte au droit à l’information ouvre droit à réparation de manière systématique pour le patient, indépendamment de l’existence d’une atteinte physique.
- Deuxième hypothèse, lorsqu’il fait courir un risque injustifié au patient
Cet article fait référence à la notion de « données acquises de la science ». Or, les données acquises de la science sont entendues comme les connaissances médicales validées par la communauté scientifique et doivent reposer sur un niveau de preuve scientifique suffisant (traités médicaux, recommandations ou protocoles publiés).
En somme, un médecin mis en cause doit être en mesure de démontrer a posteriori que les soins contestés correspondaient bien à des référentiels reconnus par la communauté scientifique.
En l’état des recommandations de l’ANSM[13] et en l’absence de consensus scientifique sur l’efficacité de l’hydroxychloroquine, la responsabilité du médecin prescripteur est susceptible d’être engagée.
Par ailleurs, une pratique courante et « sans risque » (ou comportant des risques limités) ne peut conduire à mon sens, dans le cadre d’une action en responsabilité, à valider une prescription hors AMM sans méconnaître la volonté du législateur de 2011 qui était précisément de sécuriser la prescription hors AMM.
Cependant, la Cour de cassation considère, dans un arrêt rendu en 2008, que la faute civile du praticien ne saurait se déduire de la seule absence d’AMM et d’effets indésirables du médicament, dès lors que le traitement prescrit est reconnu pour son efficacité et que, s’il s’accompagne de complications connues, il n’est pas établi que les données de la science ne puissent y remédier.
« Mais attendu qu'après avoir retenu que la faute du praticien ne pouvait se déduire de la seule absence d'autorisation de mise sur le marché et des effets indésirables du traitement, la cour d'appel, qui a relevé, en se fondant sur le rapport d'expertise, que le traitement préconisé par M. Y... était reconnu pour son efficacité en cas de dysérection, et que s'il s'accompagnait de complications connues il n'était cependant pas établi que les données de la science ne puissent y remédier, a pu en déduire que la prescription d'un tel traitement n'était pas constitutive d'une faute médicale ; que par ces motifs l'arrêt se trouve légalement justifié »[14].
Cet arrêt rappelle qu’une faute médicale n’est pas systématique et ne peut se déduire ni de la seule prescription hors AMM ni de l’existence des effets indésirables constatés chez les patients.
Par ailleurs, en pratique, le choix d’une thérapeutique se fonde notamment sur l’évaluation de la balance bénéfice/risque et est établi en concertation avec le patient qui a toujours la liberté de refuser les soins et la thérapeutique envisagée.
Ainsi, l’existence d’une recommandation qui n’aurait pas été suivie par le médecin peut alors conduire à une inversion de la charge de la preuve. Le professionnel de santé serait contraint de s’expliquer sur les raisons qui l’ont conduit à s’écarter des recommandations.
Outre l’information délivrée au patient, la motivation de la prescription dans le dossier médical du patient apparait donc fondamentale pour apprécier l’existence d’une faute médicale du fait de la prescription hors AMM.
A cet égard, la Cour de cassation a jugé, dans un arrêt isolé de 2008, que le « professionnel de santé est fondé à invoquer le fait qu’il ait prodigué des soins qui sont conformes à des recommandations émises postérieurement » à l’acte [15].
La haute juridiction semble rompre ainsi avec sa jurisprudence traditionnelle selon laquelle la conformité aux données acquises de la science s’apprécie à la date de l’acte litigieux.
Par conséquent, le risque judiciaire apparaît davantage encouru lorsque le praticien n’est pas en mesure de justifier les raisons pour lesquels il a décidé de prescrire hors AMM en s’écartant des recommandations et s’il est démontré que la thérapeutique employée a fait courir un risque injustifié au patient.
D’autre part, la responsabilité des médecins prescripteur de l’hydroxychloroquine pourrait donc être écartée sur la base des études menées si elles venaient à confirmer l’efficacité du traitement.
Enfin, la notion de « connaissances médicales avérées » envisagée par l’article L. 1110-5 du code de la santé publique, issue de loi Kouchner du 4 mars 2002[16], laisse à penser que le médecin n’est pas uniquement tenu s’appuyer sur des normes et des recommandations validées par la pratique médicale et l’expérimentation. Il doit aussi permettre à son patient d’accéder à tout ce que l’innovation et la recherche lui procure comme chance de guérison, particulièrement dans le cadre d’une crise sanitaire et en l’absence d’alternative thérapeutique envisageable.
Tel que le soulignais elle-même Madame Agnès BUZYN, ancienne Ministre de la santé, « la médecine est un art évolutif » qui doit conjuguer entre un cadre juridique nécessaire et sécurisant pour les patients, mais aussi la possibilité de faire évoluer la science par l’innovation[17] .
En conclusion, c’est en son âme et conscience et sur la base d’une évaluation du bénéfice-risque que le médecin doit décider de prescrire l’hydroxychloroquine pour traiter le Covid-19.
- Comment sécuriser une prescription hors AMM ?
- Informer son patient selon les modalités prévues à l’article L.1111-2 et L.5121-12- du code de la santé publique ;
- Conserver la preuve de cette information : Dans la mesure où la preuve de l’information délivrée pèse sur le professionnel de santé, il est important de faire signer un document d’information écrit et précis, dont une copie signée par le patient concerné doit être conservé dans le dossier médical. Il doit en outre tracer la délivrance de cette information au cours d’un entretien individuel.
- Tracer dans le dossier médical les raisons pour lesquelles il a été amené à envisager pour le patient la prescription hors AMM : La motivation de cette prescription est propre à chaque patient, au regard de sa situation clinique (ce qui suppose une motivation personnalisée et casuelle et non standardisée) ;
- Inscrire la mention d’une « prescription hors AMM » sur l’ordonnance.
Or, il a aussi été utilisé, hors du cadre de son Autorisation de Mise sur le Marché, dans l’aide à la perte de poids, chez des personnes non diabétiques ou ne présentant pas d’anomalie du taux de triglycérides. Des milliers de patients ont été victimes de valvulopathies, ou d’hypertension artérielle pulmonaire.
« Dans les limites fixées par la loi et compte tenu des données acquises de la science, le médecin est libre de ses prescriptions qui seront celles qu'il estime les plus appropriées en la circonstance.
Il doit, sans négliger son devoir d'assistance morale, limiter ses prescriptions et ses actes à ce qui est nécessaire à la qualité, à la sécurité et à l'efficacité des soins.
Il doit tenir compte des avantages, des inconvénients et des conséquences des différentes investigations et thérapeutiques possibles ».