
Prise en charge des interventions du SDIS : fin de partie pour les SDIS ?
-Dans la série des contentieux liés à la prise en charge des interventions des SDIS, l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Bordeaux du 30 mai 2022 ne manquera pas de retenir l’attention des centres hospitaliers gestionnaires de SAMU[i].
Statuant sur renvoi, la Cour administrative de Bordeaux était à nouveau chargée d’examiner si les évacuations des personnes secourues vers un établissement de santé à la suite de départs réflexes relevaient des missions de service public légalement dévolues au SDIS et partant, si elles devaient être prises en charge par ce dernier.
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
En l’espèce, le Centre hospitalier Universitaire de Bordeaux (CHU) et le Service Départemental d’Incendie et de Secours (SDIS) de Gironde ont conclu une convention le 14 juin 2007 régissant les modalités de prise en charge financière des interventions du SDIS dans le cadre de leur participation à l’activité d’aide médicale urgente et plus précisément en cas d’appui logistique au SMUR, c’est à dire lorsqu’ils mettent à disposition du SMUR leurs véhicules et leur équipage.
Le 31 mai 2016, le SDIS de Gironde a émis un titre exécutoire relatif d’une part, à des interventions qu’il aurait réalisées au cours de l’année 2015 pour le compte du SMUR d’Arès et d’autre part, à des transports dits de jonction (ce sont les transports du lieu de prise en charge vers l’établissement de santé) assurés après des départs réflexes (avant régulation médicale).
Le CHU de Bordeaux considérait qu’il n’avait pas à assumer la charge financière de telles interventions dès lors qu’elles se rattachaient aux missions propres dévolues au SDIS. Il a dès lors saisi le tribunal administratif de Bordeaux.
En premier instance et en appel, le SDIS de Gironde avait soutenu avec succès que lorsque la régulation médicale décidait le déclenchement du SMUR, le transport de la victime vers l’établissement de santé ne relevait plus de sa mission propre et était assimilable à un « appui logistique » au profit du SMUR.
Le CHU est déchargé en appel de l’obligation de payer les sommes correspondantes aux interventions réalisées pour le compte du SMUR d’Arès. En revanche, la Cour administrative d’appel de Bordeaux confirme l’obligation de payer s’agissant des sommes relatives aux interventions réalisées à la suite de départs réflexes[ii].
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux, saisi d’un pourvoi par le centre hospitalier de Bordeaux, a annulé l’arrêt de la Cour d’appel de Bordeaux en tant qu’il a rejeté le surplus des conclusions de la requête d’appel et a renvoyé l’affaire devant la même cour.
(Pour une analyse plus détaillée de la décision du Conseil d’Etat, lire Prise en charge financière des interventions du SDIS à la demande du centre 15).
SOLUTION
Aux termes d'une nouvelle décision, la Cour administrative d’appel de Bordeaux juge que le CHU de Bordeaux était fondé à solliciter l’annulation du titre exécutoire et à être déchargé de l’obligation de payer.
« 10. Il résulte de l’instruction que la convention conclue par le CHU de Bordeaux et le SDIS de la Gironde le 14 juin 2007 l’a été pour permettre que, dans le cadre prévu par l’article D. 6124-12 du code de la santé publique, les moyens du SDIS soient, sur demande du « centre 15 », mis à la disposition de la SMUR pour l’exercice par cette dernière de ses missions, et elle précise à son article 3 qu’elle « trouve sa limite dans les obligations de continuité de service du SDIS et l’exécution de ses missions propres ». Elle ne saurait ainsi régir les interventions du SDIS relevant des missions qui sont dévolues à celui-ci par l’article L. 1424-2 du code général des collectivités territoriales, qu’il est tenu d’assurer et de prendre en charge et lors desquelles il ne peut être regardé comme mettant ses moyens à la disposition d’une SMUR dans le cadre d’une convention librement conclue en vertu de l’article D. 6124-12 du code de la santé publique. Par suite, lorsque le SDIS, après avoir engagé ses moyens dans une situation de « départ réflexe », laquelle relève de ses missions de service public au titre du 4° de l’article L. 1424-2 du code général des collectivités territoriales, procède à l’évacuation de la personne secourue vers un établissement de santé, il lui incombe d’assumer la charge financière de ce transport qui doit être regardé, en vertu des mêmes dispositions, quelle que soit la gravité de l’état de la personne secourue, comme le prolongement des missions de secours d’urgence aux accidentés ou blessés qui lui sont dévolues. La circonstance que la structure mobile d’urgence et de réanimation soit également intervenue sur décision du médecin coordonnateur du « centre 15 » pour assurer, au titre de ses missions propres, la prise en charge médicale urgente de la personne, est sans incidence sur les obligations légales du SDIS, parmi lesquelles figure celle d’assurer l’évacuation de la personne qu’il a secourue vers un établissement de santé.
11. Au cours de l’année 2015, le SDIS de la Gironde a réalisé 3 579 interventions qu’il a facturées au CHU de Bordeaux. Il est constant que 1 937 d’entre elles correspondent à des situations de « départ réflexe » justifiées notamment par l’urgence vitale identifiée à l’appel ou par des interventions sur la voie publique ou dans les lieux publics. Il résulte de ce qui a été dit aux points précédents que ces situations relèvent des missions de service public du SDIS au titre du 4° de l’article L. 1424-2 du code général des collectivités territoriales, sans que l’intervention concomitante de la structure mobile d’urgence et de réanimation n’ait d’incidence sur les obligations légales du SDIS. Par suite, le SDIS de la Gironde ne pouvait mettre à la charge du CHU de Bordeaux, sur le fondement de la convention du 14 juin 2007, l’obligation de payer les sommes correspondantes à ces 1 937 interventions. »
S’alignant sur la décision du Conseil d’Etat, les juges du fond rappellent que l’évacuation de la personne vers un établissement de santé (ou transport dit de jonction) à la suite d’un départ réflexe constitue le prolongement des missions de secours d’urgence et qu’il incombe, par conséquent, au SDIS d’en assumer la charge financière.
Contrairement à ce qu’il était soutenu par le SDIS, la décision commentée rappelle :
- D’une part, que la convention d’appui logistique conclue sur le fondement de l’article D.6124-12 du code de santé publique n’a pas vocation à régir les interventions qui relèvent des missions propres du SDIS ;
- D’autre part, que l’intervention conjointe de la SMUR ou la gravité de l’état de santé des personnes secourues sont sans incidence sur la qualification du transport litigieux et ne permettent donc pas de requalifier une intervention en appui logistique.
Notes :