Si une caisse d’assurance maladie peut obtenir, sur le fondement de l'action en répétition de l'indu, le remboursement des prestations qu'elle a versées à tort, elle ne peut introduire une telle action que sur le fondement de l’article L.133-4 du code de la sécurité sociale.

Telle est la solution retenue par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, le 7 novembre 2019 (Cass. civ. 2, 7 novembre 2019, n° 18-21.329, F-P+B+I).

En l'espèce, la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) de Paris réalise un contrôle de la consommation pharmaceutique de l’un de ses assurés.

Selon les motifs de la décision, l’intéressé a obtenu frauduleusement la délivrance de médicaments par 35 pharmacies, sur présentation d’ordonnances dupliquées établies par treize médecins et sur une période d’environ trois ans.

A l’issue de ce contrôle, elle lui notifie une mise en demeure de régler une certaine somme au titre de prestations indûment versées.

La CPAM saisit la juridiction de sécurité sociale d’une demande de remboursement du coût de ces médicaments, invoquant sa responsabilité civile délictuelle sur le fondement de l’article 1240 du code civil[1].

Par un jugement rendu en dernier ressort[2], le tribunal accueille partiellement la demande de la caisse et condamne l’assuré à rembourser, en réduisant cependant le montant de l’indu réclamé[3].

Pour accueillir partiellement cette demande et condamner l’assuré à verser à la caisse une certaine somme au titre du préjudice subi, le jugement relève, après avoir rappelé les dispositions de l’article 1240 du code civil, qu’il est « acquis que l’assuré s’est fait délivrer par trente-cinq pharmacies, sur la période du 3 janvier 2012 au 1er avril 2015, des médicaments sur la base d’ordonnances établies par treize médecins ; que les faits de la cause s’analysent sur la base d’ordonnances établies aux fins d’obtenir frauduleusement dans différentes pharmacies des produits médicamenteux ; que la caisse a ainsi été conduite à verser à l’intéressé des prestations auxquelles il n’avait pas droit au titre des médicaments qu’il s’est fait indûment délivrer ; qu’il en résulte un trop versé, d’un montant de 2 799,80 euros et que cependant le tribunal évalue le préjudice à la somme de 1 500 euros ».

La caisse forme un pourvoi.

Il est fait grief au jugement attaqué d’avoir réduit le montant.
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Trois moyens étaient développés à l’appui du pourvoi :

  • La violation du principe de réparation intégrale : la CPAM faisait valoir que le principe de la réparation intégrale du préjudice implique que le juge assure à la victime une indemnisation par le versement d’un montant équivalent au dommage. Elle relève que le tribunal avait constaté que l’indu réclamé s’élevait à une certaine somme et qu’elle devait par conséquent être indemnisée à hauteur de  cette somme. Elle en conclut qu’en réduisant le montant de la condamnation, le tribunal n’avait pas tiré les conséquences de ses constatations.
  • L’insuffisance de motivation du jugement.
  • La violation de l’article L.256-4 du code de la sécurité sociale et l’incompétence du juge pour réduire le montant de la créance[4].
La Cour de cassation relève un moyen d’office[5] au visa de l’article L. 133-4 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable au litige[6] .

Elle casse le jugement sans renvoi aux motifs suivants :
«  Qu’en statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses constatations que le litige portait sur le remboursement, par l’assuré, de prestations indues, de sorte que l’action engagée par la caisse relevait exclusivement des dispositions du texte susvisé, le tribunal a violé ce dernier ».

Par conséquent, quand bien même la CPAM parvient à établir l’existence d’une fraude, le remboursement de l’indu de prestation ne peut être demandée qu’en agissant sur le fondement de l’article L.133-4 du code de la sécurité sociale.
 

[1] Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
[2] Le jugement du 30 mars 2018 a été rendu en dernier ressort dans la mesure où le montant de l’indu est inférieur à 4000 euros.
[3] TGI de Paris, 30 mars 2018.
[4] L’article L.256-4 du code de la sécurité encadre cette faculté de la caisse.
A l'exception des cotisations et majorations de retard, les créances des caisses nées de l'application de la législation de sécurité sociale, notamment dans des cas mentionnés aux articles L. 244-8L. 374-1L. 376-1 à L. 376-3L. 452-2 à L. 452-5L. 454-1 et L. 811-6, peuvent être réduites en cas de précarité de la situation du débiteur par décision motivée par la caisse, sauf en cas de manœuvre frauduleuse ou de fausses déclarations.
[5] En application de l’article 1015 du code de procédure civile
« Lorsqu'il est envisagé de relever d'office un ou plusieurs moyens, de rejeter un moyen par substitution d'un motif de pur droit relevé d'office à un motif erroné ou de prononcer une cassation sans renvoi, le président de la formation ou le conseiller rapporteur en avise les parties et les invite à présenter leurs observations dans le délai qu'il fixe.
Il en est de même lorsqu'il est envisagé de statuer au fond après cassation. En ce cas, le président de la formation ou le conseiller rapporteur précise les chefs du dispositif de la décision attaquée susceptibles d'être atteints par la cassation et les points sur lesquels il pourrait être statué au fond. Le cas échéant, il peut demander aux parties de communiquer, dans le respect du principe de la contradiction et selon les modalités qu'il définit, toute pièce utile à la décision sur le fond envisagée ».
[6] « En cas de versement indu d'une prestation, hormis les cas mentionnés à l'article L. 133-4 et les autres cas où une récupération peut être opérée auprès d'un professionnel de santé, l'organisme chargé de la gestion d'un régime obligatoire ou volontaire d'assurance maladie ou d'accidents du travail et de maladies professionnelles récupère l'indu correspondant auprès de l'assuré. Celui-ci, y compris lorsqu'il a été fait dans le cadre de la dispense d'avance des frais, peut, sous réserve que l'assuré n'en conteste pas le caractère indu, être récupéré par un ou plusieurs versements ou par retenue sur les prestations à venir en fonction de la situation sociale du ménage […] ».