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Affaire Mediator : exclusion de l'exonération de la responsabilité du fabriquant

Un arrêt particulièrement important et riche d’enseignements a été rendu dans l’affaire du Mediator par la première chambre civile de la Cour de cassation, le 20 septembre 2017 [1].

Cet arrêt apporte des précisions sur trois points :

  • l’articulation entre l’action publique et l’action civile, et plus précisément, l’obligation de sursis à statuer du juge civil
  • la preuve de l’imputabilité du dommage au médicament
  • les modalités d’exonération du fabriquant

En l'espèce, une patiente s’est vue prescrire du Mediator en vue de traiter sa tryglicéridémie entre février 2006 et octobre 2009.

Atteinte d’une insuffisance aortique, elle assigne les laboratoires Servier, producteur du Mediator, en réparation du préjudice subi après avoir sollicité une mesure d’expertise judiciaire.

L’expertise judiciaire met en évidence un probable lien de causalité entre la pathologie et la prise du Mediator.

En 2016, la Cour d’appel de Versailles a condamné les laboratoires Servier à indemniser la requérante en raison de la défectuosité du benfluorex.

A l’appui du pourvoi, les laboratoires Servier font grief aux juges du fond  :

  • de ne pas avoir sursis à statuer sur la responsabilité du fabriquant dans l'attente de l'issue de la procédure pénale  ;
  • d'avoir retenu l'existence d'un lien de causalité entre la prise du Mediator et la pathologie de la requérante en l’absence de preuves graves, précises et concordantes ;
  • d'avoir refusé de l’exonérer de sa responsabilité.

1- Sur le sursis à statuer

Les laboratoires Servier faisaient valoir le principe selon lequel « le criminel tient le civil en l’état ».

En substance, ils considèrent que l’action en responsabilité civile engagée par la requérante est une action en réparation du dommage causé par les infractions pénales faisant l’objet de poursuites pénales.

Ils déduisent de cette circonstance que les juges du fond avaient l’obligation de surseoir à statuer dans l’attente de l’issue de la procédure pénale.

Cet adage suppose que lorsqu'une affaire concernant les mêmes faits, entre les mêmes parties, est portée à la fois devant la juridiction répressive et la juridiction civile, la chose jugée au pénal ayant autorité, le juge civil doit surseoir à son jugement en attendant la décision pénale.

L’ancien article 4 du code de procédure pénale disposait « L'action civile peut être aussi exercée séparément de l'action publique.

Toutefois, il est sursis au jugement de cette action exercée devant la juridiction civile tant qu'il n'a pas été prononcé définitivement sur l'action publique lorsque celle-ci a été mise en mouvement »


Cet adage, ainsi entendu, avait pour objectif d’éviter une contrariété entre les décisions rendues par le juge pénal et le juge civil.


Dès lors que la décision pénale pouvait avoir des répercussions sur la décision civile, la chose jugée au pénal avait ainsi autorité sur les décisions civiles.


Par conséquent, si une juridiction pénale était saisie parallèlement, la juridiction civile devait donc sursoir à statuer dans l’attente de l’issue de la procédure pénale (exemple, si une victime déposait une plainte avec constitution de partie civile et qu'elle introduisait en parallèle une action en réparation devant la juridiction civile, le juge civil avait l'obligation de suspendre son jugement dans l'attente de l’issue de la procédure d’information judiciaire et, en cas de renvoi devant la juridiction pénale idoine, la décision pénale).


La société faisait également valoir une atteinte au droit à un procès équitable dans la mesure où elle n’était pas en mesure d’invoquer au soutien de sa défense un nombre très important de pièces couvertes par le secret de l’instruction, indispensables à l’appréciation de la matérialité des faits et du caractère défectueux du Mediator.

La Cour de cassation rejette ce moyen faisant une stricte application de l’article 4, dans sa rédaction issue de la loi n° 2007-291 du 5 Mars 2007 « tendant à renforcer l’équilibre de la procédure pénale ».

En effet, l’article 20 de la loi susvisée, a mis fin à l’application automatique de l’adage « le procureur tient le civil en l’état » et de l’obligation de sursis à statuer par le juge civil.

L’article 4 du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de cette loi dispose :

« L'action civile en réparation du dommage causé par l'infraction prévue par l'article 2 peut être exercée devant une juridiction civile, séparément de l'action publique.

Toutefois, il est sursis au jugement de cette action tant qu'il n'a pas été prononcé définitivement sur l'action publique lorsque celle-ci a été mise en mouvement.

La mise en mouvement de l'action publique n'impose pas la suspension du jugement des autres actions exercées devant la juridiction civile, de quelque nature qu'elles soient, même si la décision à intervenir au pénal est susceptible d'exercer, directement ou indirectement, une influence sur la solution du procès civil ».

Il en résulte que :

  • l’action publique et l’action civile sont indépendantes : la mise en mouvement de l’action publique n’empêche pas d’introduire une action en réparation devant le juge civil et ne suspend pas nécessairement l’action introduite devant la juridiction civile, même si la décision à intervenir est susceptible d’avoir une influence sur la solution du procès civil.
  • le juge n’a plus l’obligation automatique de surseoir à statuer, excepté dans le cas d'une action civile  introduite séparément de l'action publique, ayant uniquement pour objet la réparation du dommage causé par l'infraction
En l'espèce, pour retenir que le juge civil n'avait pas l'obligation de suspendre son jugement, la haute juridiction retient que l'action civile est fondée sur un fondement juridique différent.

Concrètement, cela signifie que si l’action introduite devant les juridictions civiles par la victime du Mediator n’est pas fondée sur le dommage causé par les infractions ayant fait l’objet d’une procédure pénale (en l’espèce, l’information judiciaire avait été ouverte des chefs de tromperie, homicides et blessures involontaires) mais sur un fondement juridique différent, en l’occurrence, la responsabilité du fait des produits défectueux. Elle en déduit que le juge civil n’a pas l’obligation de surseoir à statuer.

D’un point de vue stratégique, il peut s’avérer opportun d’attendre l’issue de la procédure pénale afin de disposer des éléments de preuve recueillis durant la phase d’enquête et d’instruction.

Par exemple, dans le cadre de l’affaire du Lévothyrox, une enquête préliminaire est en cours.

Si la victime agit simultanément au pénal (plainte au parquet ou plainte avec constitution de partie civile) et en réparation devant la juridiction civile, sans attendre l’issue de la procédure pénale, elle sera dans l’impossibilité de faire état des éléments recueillis dans le cadre de l’enquête ou de l’information judiciaire (secret de l'enquête et de l'instruction). Or, l’enquête a pour finalité de déterminer les modalités de mise en circulation du produit prétendument défectueux. Certains éléments pourraient donc s’avérer extrêmement bénéfiques pour établir la matérialité des faits, qu’il s’agisse de la défectuosité des produits ou du défaut d’information sur les effets secondaires du médicament.

2- Sur la preuve du lien de causalité entre la pathologie et la prise du Mediator

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir retenu que l’insuffisance aortique présentée par Madame X est imputable au Mediator en l’absence de présomptions graves, précises et concordantes du lien de causalité entre cette pathologie et la prise du Mediator.

Le laboratoire invoquait notamment une contradiction des motifs dans la mesure où les juges du fond ne tiraient pas les conséquences des conclusions du rapport de l’expert judiciaire, précisant que le lien était simplement « plausible ».

La haute juridiction écarte ce moyen,  jugeant que la cour d'appel a pu en déduire qu'il existait des présomptions graves, précises et concordantes permettant de retenir que la pathologie de Mme X est imputable au Mediator aux motifs suivants :

  • Le collège d’expert placé auprès de l’ONIAM s’est prononcé à la demande de la victime en faveur de l’imputabilité de l’insuffisance aortique à la prise du Mediator ;

  • La connaissance sur les effets nocifs du médicament avait progressé ;

  • Qu’aucune hypothèse faisant appel à une cause étrangère n’a été formulée ;

  • Aucun élément ne permet de considérer que la pathologie de l’intéressée est antérieure au traitement du Mediator.

Cette solution s’inscrit dans la continuité de la jurisprudence antérieure qui admet le recours aux présomptions pour établir le lien de causalité entre le dommage et l’usage du produit [2].

3- Sur le refus d'exonération de la responsabilité du fabriquant


Le fabriquant invoquait la violation de l’article 1386-11 du code civil (devenu article 1245-10 du code civil) relatif aux conditions d’exonération du fabriquant.

Selon ces dispositions le fabriquant peut s’exonérer de sa responsabilité s’il est en mesure d’établir que les connaissances scientifiques au moment où le produit a été mis en circulation (date de commercialisation) n’ont pas permis de déceler l’existence d’un défaut du produit.

Selon le moyen, les juges du fond se sont bornés à constater que les connaissances scientifiques avaient révélé l’existence d’effets secondaires de substances ayant certes une parenté chimique et un métabolite commun avec le benfluorex mais restant distinctes de celui-ci.

L'étude menée en 1997 était donc insuffisante à caractériser la défectuosité du benfluorex.

Ce moyen est également écarté par la haute juridiction.

La Cour de cassation considère que le laboratoire n’était pas fondé à invoquer une exonération de responsabilité  dans la mesure où le fabriquant auraient dû faire procéder à des investigations sur le risque d’effets secondaires du benfluorex dans la mesure où l'étude précitée a révélé les effets nocifs de médicaments ayant une parenté chimique et un métabolique commun avec le benfluorex.

Rappelons que la notion de défectuosité du produit relève de l’appréciation souveraine des juges du fond.

Le juge peut prendre en considération la présentation du produit : cela englobe notamment les modalités d’emballage et les informations contenues dans la notice d’information mais également le système de sécurité mis en place par le fabriquant.

La défectuosité s’apprécie au moment où le produit a été mis en circulation.

Cependant, la solution de la haute juridiction laisse à penser que le producteur a l’obligation d’assurer la sécurité du produit en toute circonstance et à tout le moins, de prendre les mesures de sécurité nécessaires même s’il parvient à établir que le défaut n’existait pas au moment de sa mise en circulation ou qu’il est survenu postérieurement.

La solution retenue par la Cour de cassation est donc particulièrement sévère à l’égard du producteur qui ne peut plus espérer s’exonérer du seul fait que le défaut ayant causé le dommage n’existait pas au moment où le produit a été mis en circulation ou que ce défaut est né postérieurement.

Par Mélanie HUET, avocat en droit de la santé et responsabilité médicale

[1] Civ. 1ère, 20 septembre 2017, n°16-19643, publié au bulletin, FPBI.

[2]  Civ. 1ère, 22 mai 2008, n°05-20317

[3]  Elle rejoint en ce sens, la solution retenue par le Conseil d’Etat, le 9 mars 2007 (N°267635 et 267665). Il considère que les rapports d’expertise n’ont pas exclu l’existence d’un tel lien de causalité et qu’un tel lien peut être caractérisé du fait de la proximité temporelle entre l’injection du vaccin et l’apparition de la sclérose en plaque, et de l’absence d’antécédents.

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