1. ACCUEIL
  2. AUTRES DOMAINES D'INTERVENTION
  3. Contentieux budgétaires des établissements de santé
  4. Facturation des soins hospitaliers au titre de l'AME : les hôpitaux peuvent-ils vraiment se prémunir contre le risque de créances irrécouvrables?
Retour

Facturation des soins hospitaliers au titre de l'AME : les hôpitaux peuvent-ils vraiment se prémunir contre le risque de créances irrécouvrables?

Au sein des hôpitaux, une personne étrangère en situation irrégulière bénéficie d’un accès aux soins au travers de plusieurs dispositifs[1] :

  •  L’AME de droit commun, qui offre une couverture santé aux étrangers en situation irrégulière pouvant démontrer une résidence stable en France depuis au moins trois mois et un faible niveau de ressources. Dans ce cas, l’ensemble des frais relatifs aux soins dispensés en établissements de santé dans le cadre d’une hospitalisation ou de soins externes est pris en charge.

  • Le dispositif des soins urgents et vitaux dès lors que leur pronostic vital est engagé ou qu'ils sont victimes d'une altération grave et durable de leur état de santé, qui permet de compenser a posteriori les dépenses engagées par les hôpitaux pour l’octroi de soins à des étrangers en situation irrégulière non-éligibles à l’AME.

L’AME répond à un principe éthique et humanitaire mais aussi à un objectif de santé publique visant à réduire le risque d’expansion de certaines affections.

Elle vise ainsi à offrir une protection de santé aux étrangers en situation irrégulière présents sur le territoire français.  

En pratique, les hôpitaux se heurtent fréquemment à des problématiques de facturation des soins dispensés aux patients étrangers en situation irrégulière résultant principalement des difficultés liées à constituer des dossiers dans le délai imparti et l’absence de communication systématique aux hôpitaux des décisions de la CPAM statuant sur l’ouverture des droits.
​​​​​​​
Une affaire traitée récemment par le cabinet fut révélatrice de ces difficultés et m’a inspiré ces quelques lignes.

Il s’avère que la complexité des règles de facturation des soins hospitaliers délivrés aux personnes en situation irrégulière ne permet pas aux hôpitaux d’imputer l’intégralité des soins au titre de l’AME et les exposent de facto à un risque de créances irrécouvrables.

Néanmoins les hôpitaux ont tout intérêt à mettre en place des procédures internes permettant de sécuriser la facturation des soins à l’assurance maladie et ainsi se prémunir contre ce risque financier.
Ces points seront abordés successivement.

DES RÈGLES DE FACTURATION COMPLEXES EXPOSANT DE FACTO LES HÔPITAUX À UN RISQUE DE CRÉANCES IRRÉCOUVRABLES

Concrètement, la procédure de facturation des soins hospitaliers délivrés aux personnes en situation irrégulière obéit aux règles suivantes :

  • Si le patient étranger ne dispose pas encore de l’AME, il est pris en charge en cas d’urgence dont le caractère est établi sur avis d’un médecin. Les services de l’hôpital l’aident à constituer le dossier de demande d’AME, y compris lorsqu’il est avéré que l’étranger en situation irrégulière ne remplit pas les conditions d’éligibilité.

Si la CPAM statue positivement, l’hôpital enregistre les dépenses associées à ces soins au titre de l’AME.

Si la décision de la CPAM est négative, l’hôpital enregistre les dépenses au titre des « soins urgents et vitaux.

  • En l’absence d’urgence, les services administratifs aident le patient à constituer le dossier de demande de l’AME et l’envoient aux services de la CPAM. Tant que les services de la CPAM n’ont pas autorisé l’ouverture des droits à l’AME, la consultation et les soins programmés ne peuvent en principe être réalisés.

  • S’il s’agit d’une urgence vitale, l’hôpital assure les soins et dispose d’un délai pour adresser une demande d’AME. Théoriquement fixé à huit jours, ce délai peut être étendu par convention avec la CPAM (généralement un mois).

En toute hypothèse, l’hôpital ne peut facturer les soins que dans un délai de forclusion fixé à un an à compter de la date de fin de séjour hospitalier[2] .

Rappelons que la constitution d’un dossier de demande d’AME requiert de rassembler plusieurs documents prouvant que le demandeur remplit les conditions de résidence stable et de ressources. Ce rassemblement est tout autant difficile pour les travailleurs sociaux de l’établissement lorsque l’état de santé du patient rend impossible toute communication avec ce dernier et/ou en raison la barrière de la langue.

C’est ce qu’il s’est passé dans un dossier traité récemment par le cabinet où la personne hospitalisée avait été admise en soins psychiatriques et était dans l’impossibilité de procéder aux formalités nécessaires à une demande de prise en charge au titre de l’AME.

Dans les faits, il existe un décalage entre le moment du dépôt et l’obtention d’une décision définitive de la CPAM, en particulier, dans le cas de dossiers incomplets ou de refus de prise en charge.

Très souvent, les hôpitaux se verront notifier un refus de prise en charge par la CPAM au moment où les titres de recettes afférents aux soins réalisés auront été émis et rendus exécutoires par l’ordonnateur public, soit plusieurs mois après le début des soins.

En conséquence, la complexité des règles facturation ne permet pas aux hôpitaux d’imputer à l’AME ou aux soins urgents l’intégralité des soins dispensés aux étrangers en situation irrégulière.

Dans certains cas, les hôpitaux ne seront pas en mesure de facturer les soins associés aux personnes en situation irrégulière faute de pouvoir réunir les informations nécessaires à la constitution du dossier en dépit des diligences effectuées par les travailleurs sociaux.

Un rapport conjoint de l’IGF et de l’IGAS d’octobre 2019[3] avait relevé que la « simplification des procédures de facturations des soins hospitaliers aux étrangers en situation irrégulière permettrait de réduire les coûts de gestion et d’atténuer le poids de ces soins sur les comptes des hôpitaux ».[4]

Outre les coûts élevés liés à la gestion administrative des dossiers d’AME[5], il met en évidence le risque de créances irrécouvrables des hôpitaux[6].

Mais force est de constater que les pouvoirs publics se sont davantage concentrés sur la sécurisation du dispositif et de l’instruction des demandes afin de lutter et prévenir les risques de fraude. Cette sécurisation a pour conséquence de complexifier la procédure de facturation des soins au sein des hôpitaux et de pénaliser les hôpitaux qui ne pourront, à la suite d’un refus de pris en charge ou d’impossibilité de constituer un dossier complet, poursuivre le recouvrement des créances auprès des bénéficiaires.


Dans ce contexte, seule une réforme des règles de facturation (exemple, l’extension du délai de forclusion pour facturer les soins ou la modification du délai de prise en charge rétroactive des soins[7]) pourrait être de nature à limiter sinon prévenir le risque financier pesant sur les hôpitaux.

Il est regrettable que certaines préconisations formulées en 2019 n’aient pas été suivies et que ces difficultés ne soient pas prises en compte dans les débats publics  (en témoigne les discussions dans le cadre du projet de loi de finance pour 2023).


QUELS OUTILS METTRE EN PLACE POUR SE PRÉMUNIR CONTRE UN RISQUE DE CRÉANCE IRRÉCOUVRABLE ?


La procédure de facturation des soins au titre de l’AME s’inscrit dans un cadre juridique contraint et ponctué par des délais restreints.

Dès lors, il apparait essentiel de sécuriser la constitution des dossiers et des demandes formulées au titre de l’AME et des soins urgents (vérification de la présence physique du demandeur, vérification du statut irrégulier, sécuriser les attestations d’hébergement, vérifier les conditions de ressources, sécuriser le dépôt du dossier, sécuriser l’émission des titres exécutoires au titre des soins réalisés dans le délai de forclusion d’un an) mais aussi de mettre en place un véritable procédure de contestation des refus de pris en charge.

L’élaboration d’un protocole interne participera à la formation des services administratifs et financiers en charge de la gestion des demandes et de la contestation des refus de pris en charge, en veillant notamment à la complétude des dossiers, au respect des délais pour formuler les demandes d’aides  et à sécuriser l’émission des titres exécutoires.

Elle devrait également permettre d’optimiser le temps consacré à la gestion administrative.

Dans un prochain article, j’aurais l’occasion de faire le point sur les modalités de contestation des refus de prise en charge par la CPAM.


[1] Deux autres dispositifs existent mais ne sont pas évoqués ici :

  • L’AME humanitaire qui vise les prises en charges ponctuelles de soins hospitaliers de personnes étrangères ne résidant pas sur le territoire

  • L’AME accordée pour les personnes gardées à vue qui se limite à la prise en charge des médicaments et aux personnes placées en rétention administrative

[2] Article L.162-25 du code de la sécurité sociale ;L.253-3 du CASF
l’hôpital dispose d’un délai d’un an à compter de la date de fin de séjour hospitalier  (ou de la date de réalisation de l’acte s’il s’agit de consultations et actes externes) pour facturer les soins à l’assurance maladie

[3] L’aide médicale d’Etat, rapport conjoint de l’IGF et de l’IGAS, diagnostic et propositions, octobre 2019.
https://www.igas.gouv.fr/spip.php?article748

[4] Rapport conjoint de l’IGF et de l’IGAS d’octobre 2019, page 31

[5] Selon le rapport, les demandes émanant des hôpitaux représenteraient 10% et le coût lié à la gestion est évalué à 5% du montant total des dépenses encourues au titre de l’AME et du dispositif soins urgents et vitaux dans les hôpitaux

[6] Sur la base des informations disponibles et transmises par quatre hôpitaux et en extrapolant ces données à l’ensemble des hôpitaux, la mission estime que les dépenses d’AME et soins urgents et vitaux seraient sous-estimées d'au moins 8 %, dont 4 % inscrits en créances irrécouvrables et 4 % correspondant à des soins qui n’ont jamais fait l’objet de facturations. Cette estimation, très préliminaire27, procède d’une extrapolation à l’ensemble des hôpitaux français des données transmises par quatre établissements hospitaliers (Hospices civils de Lyon, Assistance publique des hôpitaux de Marseille, Assistance publique des hôpitaux de Paris et centre hospitalier Delafontaine de Saint-Denis).

[7] Les droits à l’AME démarrent à compter du jour du dépôt du dossier de demande (même incomplet). Toutefois, à partir du 1er janvier 2021, en cas d’hospitalisation ou de soins non urgents avant cette demande, les droits peuvent être rétroactivement ouverts : les droits pourront alors prendre effet à la date d’entrée dans l’établissement ou à la date des soins, si la demande d’AME a été déposée dans les 90 jours suivant la date de l’hospitalisation ou des soins.MZ

Nous écrire
Les champs indiqués par un astérisque (*) sont obligatoires
Nos engagements
Disponibilité & Réactivité
Disponibilité & Réactivité
Ecoute
Ecoute
Rigueur & Pragmatisme
Rigueur & Pragmatisme
Clarté des honoraires
Clarté des honoraires
calendar_month Rendez-vous en cabinet call Rappel par téléphone