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INDU SSIAD : Une CPAM peut-elle réclamer à un Ssiad le remboursement d’actes versé à des infirmiers libéraux qui sont intervenus auprès de bénéficiaires du service ?

Récemment, j’ai été saisie de la défense de deux établissements de santé qui gèrent un Service de Soins Infirmiers à Domicile (Ssiad) dont les missions sont définies à l’article D.312-1 du code de l’action sociale et des familles.

Pour mémoire, le Ssiad a vocation à contribuer au maintien à domicile des patients en perte d'autonomie. Dans la majorité des situations, il intervient afin de faciliter le retour à domicile du patient à la suite d'une hospitalisation ou pour éviter celle-ci lors de la phase aiguë d'une pathologie.

Il a également vocation à retarder la perte d'autonomie des patients et ainsi, prévenir leur admission au sein d'une structure sociale ou médico-sociale.

Le Ssiad assure, sur prescription médicale, des prestations de soins infirmiers sous la forme de soins techniques ou de soins de base au domicile de patients en perte d'autonomie[1].

Les prestations de soins infirmiers sont réalisées soit par des infirmiers salariés du SSIAD soit par des infirmiers libéraux.

La coordination de leur intervention est assurée par l’infirmier coordonnateur[2].

Par ailleurs, l'intervention des infirmiers libéraux dans le cadre du SSIAD ne peut s'effectuer que dans le cadre d'une convention conclue avec l'organisme gestionnaire du service.

Dans ces affaires, les établissements ont fait l'objet d'un contrôle des actes infirmiers réalisés sur un même bénéficiaire, sur une période donnée.

La procédure a débuté par l’envoi d’un constat d’anomalies aux Ssiad concernés. Ces derniers ont disposé d’un délai de deux mois pour présenter leurs observations.

Dans les suites du contrôle, la caisse notifie l’indu correspondant aux facturations individuelles d’actes infirmiers pour des patients pris en charge par le Ssiad[3].

Les établissements ont contesté les indus notifiés auprès de la Commission des Recours Amiables, puis auprès du pôle social du TGI idoine. 

Les deux affaires, qui ont été jointes, feront l'objet d'un délibéré prochainement. 

La CPAM considère que les actes réalisés par les IDEL sont financés automatiquement dans le cadre de la dotation globale versée au SSIAD, prévue aux articles L.174-10 et D.174-9 du Code de la Sécurité sociale.

Or, bon nombre de ces infirmiers libéraux ont signé des conventions avec les SSIAD, conventions aux termes desquelles ils s’engagent à ne pas facturer les actes de soins infirmiers à la CPAM et à informer l’infirmier coordonnateur de toute intervention auprès d’un patient bénéficiaire du Ssiad.

Il est donc permis de penser que la CPAM doit logiquement se retourner vers ces mêmes infirmiers libéraux pour exiger de leur part le remboursement de l’indu et non pas vers le SSIAD[4]

En l’état actuel de la jurisprudence, la réponse se veut  négative !

En effet, plusieurs Cours d'appel ont condamné les organismes gestionnaires de Ssiad à régler les indus notifiés par l'assurance maladie au titre des facturations individuelles d'actes infirmiers dès lors qu'il s'agit de patients bénéficiaires du Ssiad.
En ce sens, un arrêt de la Cour d’appel de Bordeaux[5] :
« Dès lors que le bénéficiaire des soins infirmiers est pris en charge par le SSIAD GCSMS Sud Gironde, ce dernier a vocation à coordonner l’intégralité des prestations d’acte infirmiers et para-médicaux, en application tant de ses statuts que des dispositions légales. En conséquence, les facturations d’actes (honoraires libres libéraux infirmiers) directement à la caisse par des infirmiers libéraux procèdent à tout le moins d’un dysfonctionnement majeur imputable au SSIAD GCSMS Sud Gironde qui n’a pas exécuté sa fonction de coordinateur et dont il ne saurait se prévaloir. Le moyen tiré de ce qu’il n’avait pas connaissance des soins dispensés à ses adhérents et qu’il ne peut être tenu responsable de ces facturations directes par des infirmiers libéraux à la caisse ne peut qu’être rejeté ; il en va de même que celui tiré de l’interprétation littérale de l’expression « à l’origine » dans l’article L133-4 du code de la sécurité sociale, le SSIAD considérant qu’il n’est pas « à l’origine » du non-respect de la règle, dès lors que la carence du SSIAD dans le contrôle de la facturation des soins dispensés aux bénéficiaires qu’il prend en charge est précisément à l’origine de la facturation par les infirmiers libéraux directement à la CPAM, peu important que la CPAM ait pu procéder à des réclamations auprès d’infirmiers. Il est en outre rappelé que l’article L133-4 du code de la sécurité sociale vise le paiement indû à un autre professionnel de santé ou à un établissement.
Ce dysfonctionnement a causé un préjudice à la CPAM de la Gironde, dès lors qu’elle a versé des remboursements de prestations à des infirmiers libéraux, et s’est ainsi appauvrie, alors que des sommes avaient été versées en vue de l’exécution de ces prestations au SSIAD, d’où une double dépense, et il existe un lien de causalité entre la faute du SSIAD et ce préjudice.
Les pièces versées aux débats permettent d’établir que la CPAM de la Gironde a indûment versé au SSIAD GCSMS Sud Gironde la somme de 5871,53 euros au titre des prestations 2009, que le SSIAD GCSMS Sud Gironde devra lui restituer, les difficultés financières du service n’ayant aucun effet sur le principe et le montant de la somme due. Il lui appartient le cas échéant de solliciter des délais de paiement auprès de la caisse, et de se retourner contre les infirmiers libéraux indûment payés par la caisse. ».

Au cas d’espèce, les juges « sanctionnent » le défaut de coordination des interventions des professionnels libéraux. 

Mais plus récemment encore, la Cour d’appel de Paris condamne un Centre Communal d’Action Sociale (CCAS) à rembourser la CPAM, peu importe l’éventuelle faute commise par la caisse et l’absence de faute de l’établissement[6] :
« Il se déduit de cette situation et des textes précités que le versement au SSIAD de la dotation globale exclut que la caisse prenne en charge en plus de ce forfait, des soins prodigués par des praticiens libéraux intervenant même à la demande expresse des personnes prises en charge par le service. La dotation globale n’aurait aucune raison d’être si la caisse devait multiplier les prises en charge en parallèle.

Certes, dans ce cas, les prestations réalisées le sont en dehors de toute convention avec le service, indépendamment de son intervention et pas non plus pour son compte. Cependant, la dotation annuelle globale versée par l’assurance maladie inclut pendant toute l’année concernée, tous les soins nécessités par l’état de santé de la personne prise en charge, de sorte que les soins en cause relevaient bien de la prise en charge du SSIAD, et le coût de ces actes d’infirmiers ou de pédicures-podologues dispensés même hors du SSIAD et remboursés par la CPAM soit aux assurés sociaux, soit aux professionnels de santé, étaient nécessairement inclus dans la dotation, et la caisse ne devait pas les payer de nouveau. En ce sens, le SSIAD a bien été rémunéré pour des soins qu’il n’aurait pas dispensés, ni financés.
[…].
Comme il a été déjà indiqué, la dotation annuelle globale versée par l’assurance maladie incluait pendant toute l’année concernée, tous les soins nécessités par l’état de santé de la personne prise en charge, de sorte que la part de la dotation correspondant à ces actes d’infirmiers ou de pédicures-podologues dispensés hors du SSIAD et remboursés par la CPAM constitue un indu dont l’organisme est fondé à demander la répétition au service bénéficiaire de la dotation, peu important l’erreur éventuelle de la caisse et l’absence de faute de l’établissement, ou de responsabilité dans l’intervention des professionnels libéraux. Raisonner autrement aménerait à réclamer soit aux assurés sociaux, soit aux professionnels de santé, le remboursement alors même que les premiers ont réglé les prestations et les seconds, les ont dispensés. L’action en répétition d’indu est donc recevable, et le CCAS tenu de rembourser les paiements faits aux bénéficiaires d’une prise en charge de son service ou aux professionnels libéraux au titre des prestations facturés hors du service. »

Dans cette affaire, la Cour relève que les actes infirmiers étaient facturés en dehors du tout cadre conventionnel et que les infirmiers libéraux étaient vraisemblablement intervenus à la demande directe des bénéficiaires. L'arrêt ne précise pas si le Ssiad ignorait ou pas leurs interventions.

Néanmoins, elle considère que les actes infirmiers réalisés par les professionnels libéraux au bénéfice d’un même patient, et relevant du Ssiad, sont nécessairement inclus dans la dotation globale versée à l’établissement gestionnaire. De sorte que la caisse est bien fondée à demander le remboursement des sommes indues à l’établissement gestionnaire du Ssiad.

Cet arrêt, bien que critiquable, a été confirmé par la seconde chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 29 novembre 2018, n°17-24.717[7].
« Mais attendu qu'après avoir rappelé la teneur des articles R. 314-105, R. 314-137, R. 314-138 et D. 312-4 du code de l'action sociale et des familles, l'arrêt retient qu'il se déduit de ces textes que le versement d'une dotation globale au SSIAD exclut que la caisse prenne en charge, en plus de ce forfait, des soins prodigués par des praticiens libéraux, même s'ils interviennent à la demande expresse des personnes prises en charge par le service, faisant ainsi payer à la caisse une dette qui n'aurait pas dû exister ;
Que de ces constatations et énonciations dont il résulte que le financement des actes litigieux relevait de la dotation globale du service, la cour d'appel a exactement déduit qu'il incombait à celui-ci d'en rembourser le montant à la caisse ; ».


***
Il faut reconnaître que les interventions exercées auprès des caisses par les syndicats et fédérations d’infirmiers se sont révélées très efficaces puisque, désormais, les caisses réclament de manière quasi- systématique aux établissements gestionnaires du Ssiad les indus constatés au titre des facturations individuelles des infirmiers libéraux. 

La circonstance que les actes seraient facturés directement par les infirmiers libéraux à l'assurance maladie en dehors de tout conventionnement ou sans information préalable du Ssiad est sans incidence, selon les décisions visées, sur le bien-fondé de la procédure de recouvrement des indus auprès du gestionnaire du service bénéficiaire de la dotation.

De plus, l’assurance maladie considère que la convention de collaboration signée avec les IDEL lui est inopposable faute d’être tripartite.

Ces solutions sont extrêmement critiquables dès lors que la CPAM a également la possibilité de contrôler les prescriptions médicales des infirmiers libéraux et que le Ssiad n’a pas été destinataire des prescriptions médicales des infirmiers.

A mon sens, elles reviennent à nier la responsabilité professionnelle des infirmiers libéraux quand bien même l’établissement serait en mesure de rapporter la preuve d’une méconnaissance des règles de facturation des actes infirmiers dans le cadre du Ssiad. 

Concrètement, il appartient à l’établissement gestionnaire, dans le cadre de la procédure de contrôle, de rapporter la preuve du règlement des actes infirmiers.  Le fait d’ignorer la facturation directe des infirmiers à l’assurance maladie ne fait pas obstacle à la procédure de recouvrement initiée à leur égard si les établissements de santé ne sont pas à même de prouver qu’ils ont effectivement rémunéré les interventions des infirmiers libéraux.

Objectivement, la preuve du règlement des actes aux infirmiers libéraux est rapportée par les données issues du retraitement comptable.

Si l’établissement parvient à établir qu’il a réglé les actes réalisés aux infirmiers libéraux (y compris postérieurement à la notification du constat d'anomalies), la caisse peut agir directement contre le professionnel libéral pour obtenir réparation du préjudice qui lui a été causé du fait des facturations individuelles à l’assurance maladie[8].

Par ailleurs, il apparaît important de mettre en place une organisation et un processus de facturation de nature à sécuriser l’activité du Ssiad et se prémunir des risques financiers résultant de procédures de recouvrement d’indus :
  • en sécurisant la rédaction des conventions de collaboration conclues avec les IDEL et les rendant opposables à l'assurance maladie (soit en rédigeant des conventions tripartites soit en les dénonçant par LRAR avant toute conclusion définitive) ; 
  • mise en place d’un relevé mensuel et d’un processus de facturation permettant d’assurer le suivi des prescriptions médicales, des interventions des libéraux pour chaque patient, des actes réalisés, leur cotation, la transmission des éléments de facturation au Ssiad ainsi que les règlements effectués ;
  • organiser des réunions de coordination régulières afin d’actualiser le protocole de soins etc.
Pour toute demande d'accompagnement, vous pouvez l'adresser à cabinet@huet-avocat.fr ou remplir le formulaire de contact. 

Références :
[1] Les soins de base (côtés AIS) correspondent notamment aux soins d'hygiène et de confort.
Les soins techniques correspondent aux actes médico-infirmiers (côtés AMI) (pansements, prélèvements, perfusion).
[2]  Décret n°2004-613 du 25 juin 2004 relatif aux conditions techniques d’organisation et de fonctionnement des Ssiad.
[3] Conformément à l’article L.133-4 du code de la sécurité sociale.
[4] Dans un arrêt du 15 mai 2013, la Cour d’appel de Nancy a admis l’annulation de l’indu notifié au Ssiad, admettant ainsi la responsabilité professionnelle des infirmiers libéraux du fait des facturations individuelles constatées par la caisse, en méconnaissance des règles de facturation des actes infirmiers réalisés dans le cadre du Ssiad (n°112/01933).
[5] CA Bordeaux, 17 déc. 2015, n° 15/00620. Lire en ligne : https://www.doctrine.fr/d/CA/Bordeaux/2015/RD4E5C974FFD8997A2E21
[6] CA Paris, pôle 6 - ch. 12, 6 juill. 2017, n° 15/09950. Lire en ligne : https://www.doctrine.fr/d/CA/Paris/2017/CE28A124B69DC86DE1E4C
[7] Cass. 2e civ., 29 nov. 2018, n° 17-24.717. Lire en ligne : https://www.doctrine.fr/d/CASS/2018/JURITEXT000037787108
[8] Cass. civ. 2ème, 8 novembre 2012, n°11-23.065.
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