La politique destinée à améliorer l’accès aux soins de premier recours et à remédier à la désertification médicale est principalement portée par l’Etat. Elle s’est progressivement déclinée au niveau local, en particulier dans les territoires connaissant des difficultés identifiées dans l’accès aux soins, afin de répondre aux besoins de soins de proximité, d’inciter et de soutenir l’installation des professionnels de santé.

Dans le cadre de son rapport annuel présenté le 10 mars 2023, la Cour des comptes s’intéresse plus particulièrement aux interventions des collectivités territoriales pour améliorer l’accès aux soins de premier recours, pointant la diversité des interventions publiques mais aussi leurs insuffisances.

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UNE INTERVENTION LIMITÉE DES COLLECTIVITÉS LOCALES SUR LE PLAN FINANCIER
Dans les projets que nous accompagnons, nous avons pu constater que l’intervention des collectivités apparait pour le moins résiduelle, se traduisant en pratique par la mise à disposition de locaux construits et aménagés par les communes avec des conditions plus ou moins préférentielles accordées aux professionnels de santé selon les cas, ou l’attribution de subventions d’investissement pour la construction des maisons de santé.

Il existe d’autres formes d’interventions financières telles que les aides individuelles et les aides au maintien d’activité mais qui apparaissent peu connues par les professionnels de santé et sous utilisées par les collectivités.

Les collectivités ont également la possibilité de créer des centres de santé (centres de santé municipaux) ou de soutenir la création de centres portés par des organismes de droit privé à but non lucratif.

En résumé, les collectivités territoriales sont davantage placées dans un rôle de financeur ou de « simples intermédiaires financiers » que comme véritable instigateurs des projets d’exercice coordonné alors même qu’elles sont fréquemment interpelées sur les difficultés d’accès aux soins par les usagers et les professionnels de santé.

Le schéma figurant en page 523 du rapport sur la place réservée aux collectivités territoriales, en complément des compétences de l’Etat et de l’Assurance Maladie, illustre parfaitement ce rôle résiduel.

La Cour des comptes relève que « rapportées aux dépenses de l’Etat et de l’assurance maladie, ces aides sont peu significatives : leur montant net estimé par la Cour à 150M€ est six fois inférieurs à celui des dépenses que les ARS consacrent à l’amélioration de l’accès aux soins. Elles peuvent cependant compléter utilement les interventions de l’Etat ou de l’Assurance Maladie en ciblant plus précisément des besoins locaux mal satisfaits.
Une telle complémentarité ne va pas de soi. La superposition des politiques successivement déployées d’initiatives d’abord locales puis nationales, a conduit à étendre le champ des interventions publiques, sans ciblage satisfaisant (I). Dans ce contexte, les aides apportées par les collectivités aux professionnels de santé n’ont pas évolué pour s’adapter aux interventions confiées postérieurement aux ARS et à l’assurance maladie (II) ».


UNE EFFICACITÉ VARIABLE DES PROJETS SUR LES INDICATEURS D'ACCÈS AUX SOINS
La Cour des comptes dénonce également un ciblage territorial insuffisant des mesures de soutien financier, quelles que soient les formes d’incitation à l’exercice coordonné (MSP, centres de santé, CPTS, SAS) ainsi que des résultats très variables d’un projet à l’autre « positifs quand l’aide conforte un projet médical solide et l’engagement effectif des professionnels, beaucoup plus décevants, voire médiocres, en l’absence de ceux-ci. ».

LES PISTES D'AMÉLIORATION PROPOSÉES 
Aux termes de ce rapport, la Cour des comptes formule plusieurs propositions afin de mieux structurer les interventions des collectivités territoriales et renforcer leur efficacité dans l'accès aux soins de premier recours
​​​​​​​En l'état, les deux premières recommandations présentent davantage un enjeu de coordination et de gouvernance de l'octroi des aides sur le territoire.


  • Recentrer l’intervention de soutien des collectivités locales à l’installation et au maintien des professionnels de santé sur les seuls investissements immobiliers
  • Coordonner l’action locale en matière d’investissements immobilier au niveau départemental en lien avec l’EPCI
  • Créer une commission spécialisée au sein des conseils territoriaux de santé chargées d’identifier les difficultés d’accès aux soins
  • Conditionner la possibilité d’une intervention financière des collectivités et EPCI par la signature d’un contrat local de santé (CLS) à une échelle supra-communale analysant les difficultés d’accès aux soins à partir d’indicateurs définis au niveau national, et les réponses à y apporter
  • Etudier la possibilité, pour les collectivités gérant ou déléguant la gestion d’un centre de santé, de proposer aux médecins d’indexer une partie de la rémunération des professionnels de santé de santé sur leur niveau d’activité
En l'état, les deux premières recommandations présentent davantage un enjeu de coordination de l'octroi des aides sur le territoire.

Concernant le ciblage territorial, la nécessité d'un diagnostic partagé a été mis en évidence dans le cadre des réunions du Conseil de Refondation en Santé. Mais il serait sous doute plus opportun d'approfondir la piste d'un guichet unique regroupant les différents acteurs institutionnels (par ailleurs évoqué dans le corps du rapport) plutôt que de créer une nouvelle commission.

De même, l’intervention des collectivités peut s’avérer pertinente et efficace si elle s’inscrit dans un projet territorial cohérent.

La généralisation de l’utilisation des CLS préalablement à toute intervention des collectivités est une bonne chose en soi car ces outils participent à la construction d’un dynamique territoriale et à la mise en œuvre d’un plan d’actions partagé avec l’ARS à partir des indicateurs locaux.

Il est important que les professionnels de santé ne se sentent pas bridés par des tentatives d'harmonisation nationale sans prendre en considération les particularités de chaque projet, qu'il s'agisse de la conception du projet de santé, du montage juridique ou de sa modélisation financière. 

Il n’en demeure pas moins que l’efficacité d’une telle mesure interroge dès lors que la conclusion d’un CLS repose sur l’initiative des acteurs.

Par ailleurs, il convient de rappeler que l’efficacité des interventions des collectivités repose avant toute chose sur des projets de santé solides et concertés. Elles doivent s’inscrire en complémentarité des projets médicaux établis par les professionnels de santé.

Enfin, le modèle économique des centres de santé mérite sans doute d’être repensé compte-tenu du fait qu’ils peinent à trouver l’équilibre financier.

Néanmoins, à mon sens, l’indexation de la rémunération des médecins sur le niveau d’activité du centre n’apparait pas nécessairement comme une solution appropriée selon l’activité portée par le centre de santé et le statut de celui-ci.

La possibilité pour un centre de santé municipal d’indexer la rémunération des médecins sur un engagement de volume d’activité mérite sans doute une réflexion approfondie au regard du droit public.

D’une façon générale, cette proposition pourrait également s’inscrire à rebours de la volonté des partenaires conventionnels de veiller à la préservation des spécificités des centres de santé et leur « vocation sociale et d’accueil universelle ».

 En outre, elle ne doit pas être de nature à décourager l’installation des médecins dans les zones déjà fragilisées et dans les centres de santé dont le taux d’activité est insuffisant.

Affaire à suivre...


[1] Loi du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux ; article L1511-8 du CGCT