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Responsabilité hospitalière : appréciation de la partialité de l'expert désigné par le tribunal administratif également médecin conseil de l'assureur de l'hôpital mis en cause

Il n’est pas rare de constater, dans les dossiers de responsabilité hospitalière, que l’Expert désigné par le tribunal administratif ait assuré également des missions d’expertise en qualité de médecin conseil de l’assureur, ce qui interroge légitimement quant à l’effectivité des garanties d’impartialité de l’expert ainsi désigné. 

Lorsque la victime entend remettre en cause l’impartialité de l’expert désigné par le tribunal administratif, il est constant que le juge se doit de rechercher, au regard de la nature des relations entretenues avec l’assureur et des missions confiées en qualité de médecin conseil, si elles sont de nature à susciter un doute sur son impartialité.
C’est ce que rappelle notamment le Conseil d’Etat dans un arrêt du 19 octobre 2023[i]
 
En l’espèce, M. C est pris en charge au sein du CHRU de Rouen dans les suites d’un accident de la circulation subi le 15 juin 2012.

Il est resté paraplégique à la suite d’une intervention.

Le Tribunal correctionnel de Charte a déclaré l’automobiliste auteur de l’accident redevable de l’indemnisation des préjudices subis par la victime.

Subrogé dans les droits de la victime, la MACIF a saisi le Tribunal administratif de Rouen à l’effet d’obtenir la condamnation du CHRU de Rouen à indemniser les préjudices subis par la victime de l’accident.

Après avoir jugé que la responsabilité du CHRU de Rouen n’était susceptible d’être engagée ni sur le fondement d’une faute dans l’organisation ou le fonctionnement du service, ni à raison d’un manquement au devoir d’information du patient, la Cour administrative d'appel de Douai (CAA) a ordonné avant dire droit une expertise portant sur l’intervention chirurgicale.

Par une ordonnance du 19 mai 2021, le président de la CAA a désigné un expert qui a déposé un rapport le 9 septembre 2021.

Par un arrêt du 21 décembre 2021, la cour a rejeté l’appel formé par la MACIF.

Dans le cadre de son pourvoi, la MACIF remettait en cause l'impartialité de l'expert désigné par le TA.

La particularité de cette affaire est que le médecin expert désigné avait également assuré plusieurs missions en qualité de médecin conseil pour le compte de l’assureur de l’hôpital dont la responsabilité était recherchée par l’assureur ayant indemnisé la victime.

Il s’agissait de déterminer si le médecin expert désigné présentait toutes les garanties d’impartialité ou si la nature des relations établies avec l’assureur pouvait être de nature à la remettre en cause.

Après avoir rappelé l’office du juge saisi d’un tel moyen, le Conseil d’Etat annule l’arrêt de la Cour d’appel de Douai.

La solution retenue n’est pas nouvelle puisque le Conseil d’Etat se contente ici de rappeler son approche traditionnelle développée aux termes de son arrêt du Conseil d'Etat du 19 avril 2013[ii]

Ainsi, il rappelle qu’il appartient au juge saisi d’un moyen tendant à remettre en cause l’impartialité de l’expert de rechercher si les relations directes ou indirectes entre l’expert et l’une ou plusieurs parties au litige sont de nature à susciter un doute sur son impartialité.

Le Conseil d’Etat se fonde sur plusieurs critères d’appréciation : la nature des relations, leur intensité, leur date et en particulier si les relations professionnelles se sont nouées ou poursuivies durant la phase expertale.

D’autre part, le Conseil d’Etat rappelle que le médecin expert se doit de respecter les règles visant à prévenir les situations de conflits d’intérêts et devant être observées avant d’accepter une mission, prescrites à l’article R.4127-105 du code de la santé publique.

Cet article dispose « le médecin ne doit accepter une mission d’expertise dans laquelle sont en jeux ses propres intérêts, ceux d’un de ses patients, d’un de ses proches, d’un de ses amis ou d’un groupement qui fait habituellement appel à ses services. »

Selon la Haute juridiction, il appartient au médecin expert de refuser la mission d’expertise en application de ces règles.

En l’espèce, le Conseil d’Etat relève que « le médecin expert avait également assuré au cours de l’année 2021, en qualité de médecin-conseil, plusieurs missions, dont certaines étaient encore en cours, pour le compte de la SHAM, assureur du CHRU de Rouen dont la responsabilité était recherchée par la MACIF.

Dès lors « En jugeant que la MACIF n’était pas fondée à mettre en cause l’impartialité du docteur D, eu égard, d’une part, aux obligations déontologiques et aux garanties qui s’attachent tant à la qualité de médecin qu’à celle d’expert désigné par une juridiction et, d’autre part, au déroulement des opérations d’expertise, tenues en présence de deux médecins-conseils de la MACIF, la cour administrative d’appel a inexactement qualifié les faits de l’espèce, alors d’ailleurs qu’il appartenait au médecin expert de refuser la mission d’expertise en application de l’article R 4127-105 du code de la santé publique.»

Il en conclu que la MACIF était fondée à remettre en cause l’impartialité de l’expert et à solliciter l’annulation de l’arrêt rendu par la Cour d’appel Douai.

La solution retenue est à rapprocher de l’arrêt du Conseil d’Etat du, 23 juillet 2014[iii](s’agissant de la désignation d’un médecin des cadres de l’AP-HP dans un litige où l'AP-HP est partie).

La Haute juridiction avait jugé que « l'appartenance d'un médecin aux cadres de cet établissement public ne peut être regardée comme suscitant par elle-même un doute légitime sur son impartialité, faisant obstacle à sa désignation comme expert dans un litige où l'AP-HP est partie ».

Si l’arrêt commenté semble à première lecture à rebours de la solution dégagée dans cette décision de 2014 concernant l’AP-HM, les circonstances de cette seconde affaire sont de nature à justifier à mon sens la décision retenue. Les praticiens étaient attachés à des hôpitaux différents de celui mis en cause dans le cadre du litige, bien que dépendant également de l’AP-HP. La taille de la structure et la configuration multisites semblent avoir été des critères d’appréciation prépondérant dans l’appréciation des garanties d’impartialité attachées à la qualité de l’expert désigné.

En outre, l’analyse de la situation professionnelle du médecin ne semblait pas dans l’affaire de 2014 suscitait un doute légitime sur son impartialité, justifiait leur récusation contrairement à l’espèce qui a donné lieu à l’arrêt du 11 octobre 2023.


Quoi qu’il en soit, cette récente affaire est renvoyée devant la Cour d’appel de Douai. Affaire à suivre…



[i] CE, 5-6  chr, 11 oct. 2023, n° 461706, Lebon T
[ii] CE, 7e et 2e ss-sect. réunies, 19 avr. 2013, n° 360598, Lebon
[iii] Conseil d’Etat du, 23 juillet 2014, M. Kacem, n° 352407
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