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Prescriptions hors AMM injustifiées et protocoles de recherches illégaux : quels sont les risques encourus par les médecins?

Récemment, un article publié dans le journal de la Provence le 4 juin 2020 s’est fait l’écho d’une enquête diligentée par le Parquet de Marseille, saisi d’une plainte d’un Confrère du Professeur Raoult.

Cette enquête viserait à déterminer si les essais cliniques menés par l’équipe du Professeur Raoult, à l’IHU, ont été réalisés dans les « règles de l’art » et dans le respect des dispositions encadrant les protocoles de recherche.

Par ailleurs, dans un communiqué du 23 avril 2020, le Conseil National de l’Ordre des Médecins a souhaité mettre en garde des « médecins faisant état de protocoles de traitements » au sujet des règles et risques encourus du fait des protocoles de recherche illégaux et des prescriptions hors AMM injustifiées.

L’Ordre national indique également avoir informé l’ANSM de l’existence de protocoles expérimentaux illégaux et invite les conseils départementaux de l’Ordre des médecins concernés à recueillir des explications.

Ceci étant rappelé, le communiqué se veut général et ne vise aucun médecin en particulier, pas même le Professeur Raoult.

Il n’est pas non plus très éclairant sur les règles dont il entend pourtant assurer le respect, que ce soit en matière de protocoles de recherche ou de prescription hors AMM !

Un médecin qui ne respecterait pas le cadre légal encourt une sanction déontologique, civile ou pénale. Cette sanction peut résulter d’une part, du non-respect des règles d’utilisation des médicaments hors AMM et d’autre part, de la mise en œuvre de protocoles de recherche illégaux.

De quelles règles s’agit-il ? Quels sont les risques encourus par les médecins qui ne respecteraient pas le cadre légal ?

PRESCRIPTION HORS AMM INJUSTIFIEES

Le cadre légal général de la prescription hors AMM défini par le code de la santé publique a déjà été abordé dans le cadre d’une précédente étude, réalisée en deux parties.

COVID-19 et prescription de l’hydroxychloroquine : une liberté de prescription à géométrie variable ! (Partie I)

La deuxième partie de l’étude s’interrogeait sur les facteurs de risque de responsabilité (notamment disciplinaire et civile) des médecins du fait d’une prescription hors AMM en dehors du cadre dérogatoire qui avait été instauré pour les patients hospitalisés et en dehors des essais cliniques autorisés : Prescription de l'hydroxychloroquine et responsabilité du médecin prescripteur (PARTIE II).

Rappelons simplement que la prescription d’une spécialité en dehors de son autorisation de mise sur le marché peut intervenir dans le cadre d'essais cliniques mais aussi en dehors de tels essais. 

En toute hypothèse, elle est autorisée sous réserve de respecter plusieurs conditions :
  • il ne doit pas exister d’alternative thérapeutique ;
  • le prescripteur doit juger indispensable, au regard des données acquises de la science, le recours à cette spécialité pour améliorer ou stabiliser l’état du patient.
  • il doit inscrire sur l’ordonnance la mention « prescription hors autorisation de mise sur le marché »
  • il doit informer le patient (obligation d’information renforcée);
  • il doit motiver les raisons de cette prescription  dans le dossier médical.
La prescription hors AMM doit se fonder sur les donnés acquises de la science. Ainsi, le médecin doit s’interdire de faire courir un risque injustifié au patient et de proposer un traitement non éprouvé.

En outre, la prescription et l’administration de médicaments hors AMM dans le traitement du covid-19 doit respecter le cadre légal et réglementaire ainsi que les recommandations des autorités sanitaires.

A cet égard, rappelons que jusqu’au décret du 26 mai 2020 l’utilisation hors AMM du Plaquenil dans le traitement du covid-19 était autorisée à certaines conditions pour les patients hospitalisés.

Suite à la publication des résultats de l'étude dans la revue The Lancet, le Haut Conseil de la Santé Publique (HCSP) a préconisé de ne plus utiliser « l’hydroxychloroquine (seule ou associée à un macrolide) dans le traitement du Covid-19 » en dehors des essais cliniques et « D’évaluer le bénéfice/risque de l’utilisation de l’hydroxychloroquine dans les essais thérapeutiques ».

Parallèlement, l’ANSM a suspendu l’inclusion de patients dans les essais cliniques autorisés. Seuls les essais en cours se poursuivent, ce qui restreint davantage encore l’utilisation de la spécialité et les possibilités d’évaluer son efficacité dans le traitement du covid-19.

En dehors du cadre hospitalier, la délivrance en officine du Plaquenil est réservée depuis mars dernier, aux prescriptions conformes aux indications de l’AMM. De même, la spécialité ne peut être dispensée que dans le cadre des prescriptions initiales émanant des rhumatologues, internistes, néphrologues, neurologues et pédiatres ou dans le cadre du renouvellement émanant de tout médecin.
Ces dispositions ont été abordées dans la première partie de l’étude consacrée à cette problématique : COVID-19 et prescription de l’hydroxychloroquine : une liberté de prescription à géométrie variable ! (Partie I) ; et dans la mise à jour publiée le 10 juin 2020 Interdiction de l'utilisation de l'hydroxychloroquine dans le traitement du covid-19 en dehors des essais cliniques )[1].
En tout état de cause, et tel que je le rappelais dans la deuxième partie de l’étude  Prescription de l'hydroxychloroquine et responsabilité du médecin prescripteur (PARTIE II) la prescription hors AMM n’est pas en soi illégale et ne saurait constituer à elle seule une faute.

Une faute médicale ne peut se déduire ni de la seule prescription hors AMM ni de l’existence d’effets indésirables constatés chez des patients, pas plus qu’elle ne peut se déduire à mon sens de la seule méconnaissance des recommandations d’utilisation des autorisations sanitaires.

Les chambres disciplinaires, de même que le parquet ou les juridictions devront donc, le cas échéant, apprécier au cas par cas l’existence d’un risque, un risque injustifié pour le patient (d’où l’importance de la tenue du dossier médical !) et motiver si la thérapeutique employée a fait courir un risque injustifié au patient.

Une prescription hors AMM injustifiée expose en règle générale les médecins concernés aux sanctions suivantes :
  • civile, sur le fondement notamment des articles L.5121-12-1, L.1110-5 et L.1142-1 I du code de la santé publique ,
  • disciplinaire, sur le fondement notamment des article R.4127-8 ; R.4127-32 ;  R.4127-39 et R.4127-40 CSP
  • pénale. La responsabilité pénale du médecin prescripteur peut être recherchée  sur le fondement notamment de la mise en danger de la vie d’autrui (article 223-1 CP) ou de l’atteinte à l’intégrité physique (article 222-19 CP).
MISE EN ŒUVRE D’ESSAIS CLINIQUES ILLEGAUX

Selon le journal la Provence, il est reproché au Pr RAOULT « D'avoir fait passer une étude "interventionnelleselon la loi pour une étude "observationnelle" qui ne répond pas au même cadre légal et aux mêmes autorisations. L'IHU avait bien obtenu une autorisation de l'ANSM pour mener le premier essai clinique sur l'hydroxychloroquine et l'azithromycine chez 26 patients infectés au Sras-cov 2. Autorisation qu'il n'aurait pas sollicitée pour les deux suivantes, estimant qu'elles relevaient de "l'observationnel". Ces études qui comportent officiellement moins de risque, n'ont pas besoin de recevoir l'autorisation de l'ANSM, mais seulement de celle d'un comité de protection des personnes (CPP).

De quoi parle-t-on exactement ?
Le code de la santé publique définit trois catégories de recherches impliquant la recherche humaine[2] :
1° Les recherches interventionnelles qui comportent une intervention sur la personne non justifiée par sa prise en charge habituelle.
2° Les recherches interventionnelles qui ne comportent que des risques et des contraintes minimes, dont la liste est fixée par arrêté du ministre chargé de la santé, après avis du directeur général de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé.
Ce type de recherche exclut les recherches portant sur un médicament à usage humain.
3° Les recherches non interventionnelles (appelées également études observationnelles) qui ne comportent aucun risque ni contrainte dans lesquelles tous les actes sont pratiqués et les produits utilisés de manière habituelle.

Cette dernière catégorie de recherche suppose donc que le médicament prescrit soit utilisé de manière conforme à l’autorisation de mise sur le marché.

La mise en œuvre des recherches interventionnelles à risques et contraintes minimes et des recherches dites observationnelles (visées au 2° et 3° de l’article) nécessite l’avis favorable du comité de protection des personnes. En revanche, l’autorisation de l’ANSM n’est pas requise.

En revanche, les recherches interventionnelles relevant de la première catégorie ne peuvent être mises en œuvre sans l’autorisation de l’ANSM et l’avis favorable du CPP[3].

Il reviendra au parquet de Marseille, s’agissant des essais cliniques réalisés par l’IHU, et à l’ANSM, de déterminer si les études litigieuses impliquent ou non la personne humaine et dans quel cadre elles s’inscrivent.
La mise en œuvre illégale de protocoles de recherche expose les médecins concernés à une double sanction :
  • disciplinaire, sur le fondement de l’article R.4127-15 du CSP au terme duquel « Le médecin ne peut participer à des recherches biomédicales sur les personnes que dans les conditions prévues par la loi ; il doit s'assurer de la régularité et de la pertinence de ces recherches ainsi que de l'objectivité de leurs conclusions »
  • pénale, sur le fondement de l’article L.1126-5 du code de la santé publique, lequel sanctionne en particulier « le fait de pratiquer ou de faire pratiquer une recherche impliquant la personne humaine d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende » sans avoir obtenu, selon la catégorie de recherche, l’avis du CPP et l’autorisation de l’ANSM (sanction qui peut viser à la fois l’investigateur et le promoteur de la recherche).

Me HUET conseil et défend de manière régulière établissements de santé et professionnels de santé sur les problématiques liées au droit de la santé. Elle accompagne les médecins dans tous les litiges mettant en cause leur responsabilité devant tout type de juridiction.



[1] La prescription et l’utilisation de l’hydroxychloroquine, commercialisée sous le nom de Plaquenil, dans le cadre du traitement des patients atteints du covid-19 était réservée à un usage hospitalier pour le traitement de formes sévères de l’infection, après mise en œuvre d’une procédure collégiale et dans le respect des recommandations du HCSP (révisées le 24 mai 2020) et du protocole d’utilisation thérapeutique publié par l’ANSM du 30 mars 2020.

[2] Article L.1121-1 du code de la santé publique
[3] Article L.1121-4 du CSP
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